PLF 2026 : Derrière les chiffres, l’économie invisible du pouvoir

Le Projet de loi de finances 2026 promet croissance, discipline budgétaire et diversification hors hydrocarbures. Mais derrière le récit officiel, une autre réalité domine : celle d’une économie parallèle, structurée autour d’un noyau de pouvoir militaire et sécuritaire qui contrôle les flux, les importations et l’accès aux devises. Entre l’économie déclarée et l’économie réelle, l’écart devient un système.

1. Le récit officiel : croissance, diversification et prudence budgétaire

Le gouvernement projette 4,1 % de croissance en 2026, puis 4,4 % et 4,5 % jusqu’en 2028. Le PLF est construit sur la base d’un prix fiscal du baril à 60 dollars et un prix de marché à 70 dollars, ce qui permet un affichage de rigueur. La communication institutionnelle insiste sur la « transition vers une économie hors hydrocarbures » et sur « l’effort national de diversification productive ».

Les recettes publiques baisseraient légèrement à 8 009 milliards DA en 2026, avant de repartir à la hausse, tandis que les dépenses continueront d’augmenter pour atteindre 12 345 milliards DA dès 2026. En façade, l’État assume donc une trajectoire expansive maîtrisée.

2. Le déficit, un indicateur masqué par le contrôle politique

Le déficit global du Trésor devrait atteindre -12,4 % du PIB en 2026, un niveau élevé dans n’importe quel modèle économique ouvert. Mais en Algérie, l’absence de contre-pouvoirs institutionnels — Parlement réduit à l’enregistrement, presse économique sous contrainte éditoriale, syndicats neutralisés — permet d’éviter tout débat public sur la dette, la dépense militaire ou la captation des subventions.

Ce déficit n’est pas un sujet de société. Il est administré dans le silence.

3. Derrière le budget, la réalité d’une économie des flux et des autorisations

Le PLF est un texte public. L’économie réelle, elle, ne l’est pas.
Elle se joue ailleurs : dans les ports, les circuits d’importation, la distribution des licences, l’accès au crédit en dinars et à la devise en banque publique, où l’allocation devient un privilège et non un droit économique.

À côté de l’économie officielle des chiffres, fonctionne une économie informelle protégée, structurée autour d’importateurs liés aux réseaux sécuritaires. Le cœur de cette économie n’est pas la production mais l’arbitrage sur la marchandise subventionnée et la devise administrée.

Tableau central — Algérie 2026 : Deux économies qui coexistent

ChampÉconomie officielle (visible)Économie réelle (invisible, protégée)
LégitimitéPLF, chiffres publics, Conseil des ministresRéseaux d’accès aux licences, ports, douanes
RichesseCroissance hors hydrocarbures annoncéeMarges d’importation et devises captées
FiscalitéHausse de 74,8 % des recettes hors hydrocarburesRevenus informels non imposés, tolérés
Subventions5 959 milliards DA visibles, cadrés par le PLFRéaffectation discrète par circuits d’approvisionnement
Secteur militaireLignes budgétaires de dépenses déclaréesContrôle des flux commerciaux stratégiques
Banque et deviseBanque d’Algérie, taux officielMarché parallèle alimenté par des circuits protégés
InvestissementANSEJ, PME, industrialisation annoncéeContournement productif au profit du commerce importateur
Endettement interneTrésor, financement monétaireCaptation discrète via réseaux bancaires internes

4. Subventions : un outil de paix sociale, pas de justice économique

5 959 milliards de dinars de transferts sociaux sont inscrits dans le PLF, dont 420 milliards pour l’allocation chômage. En apparence, l’État protège. En réalité, les produits subventionnés (blé, carburant, lait, sucre, huile) alimentent des marges colossales dans les circuits opaques de distribution, où certains groupes importateurs engrangent plus que l’État ne déclare dépenser.

La subvention est présentée comme solidarité. Elle fonctionne comme mécanisme de loyauté.

5. Défense : premier budget de la République parallèle

Le ministère de la Défense nationale arrive en tête des dotations budgétaires, devant l’Éducation, la Santé ou l’Investissement productif. Cette hiérarchie économique est révélatrice : la priorité budgétaire n’est pas la transformation structurelle, mais la protection du modèle de contrôle.

La dépense militaire déclarée n’est que la surface. La dépense militaire réelle intègre les circuits d’importation, la logistique des ports, les douanes et les marchés publics stratégiques.

Un PLF pour la narration, une économie des flux pour le réel

Le PLF 2026 propose une économie de discours : diversification, croissance, rigueur.
Le pays fonctionne sur une économie de flux : devises, autorisations, marges sur importation.
L’écart entre les deux n’est pas un accident : c’est le cœur du système.

Tant que le budget national n’est pas débattu par des élus légitimes, choisis librement par le peuple, et que l’allocation des ressources reste monopolisée par un noyau sécuritaire qui agit comme une régence invisible, l’Algérie ne construira pas une économie productive mais un système de contrôle.
Le retour à une véritable souveraineté économique passe par la démocratie réelle : celle où le mandat électif prévaut sur l’autorisation sécuritaire, où les institutions rendent compte, et où les choix budgétaires sont décidés par la Nation — et non décrétés par un appareil qui se comporte comme une divinité administrative au-dessus du contrat social.

Khaled Boulaziz