Le 8 mai, alors que l’Algérie commémorait les massacres coloniaux de 1945, un général éradicateur — figure emblématique de la caste militaire algérienne — est apparu à la télévision pour délivrer ce qui fut présenté comme une allocution stratégique. Introduit comme directeur d’un supposé institut d’études stratégiques, il a parlé de souveraineté, de mémoire, de résistance et de menaces régionales. Mais son discours n’était ni une analyse, ni un plan. C’était une mise en scène. Une justification. Une répétition générale de la peur.
Ce que l’on a entendu n’est pas la voix d’un stratège lucide, mais celle d’un régime vieillissant, replié sur lui-même, qui tente de faire passer sa propre survie pour un impératif national. Le langage employé est ancien : appel au sacrifice, menace extérieure, exaltation de l’unité. Mais derrière cette rhétorique militaire se cache un fait brutal : le régime ne prépare pas le pays à une guerre — il prépare une guerre contre le pays.
La mémoire comme instrument de pouvoir
Le général a commencé par convoquer la mémoire du 8 mai 1945 comme moment fondateur de l’unité algérienne face au colonialisme. Mais cette mémoire, dans sa bouche, n’était pas un hommage : c’était un verrou. En s’érigeant en gardien de l’histoire nationale, la caste militaire cherche à monopoliser la légitimité. Pourtant, ce qu’elle défend aujourd’hui n’est plus l’indépendance, mais sa propre domination. Ce n’est plus le peuple qui est sacré — c’est l’armée qui se sacralise elle-même.
Le régime qui a effacé le vote
Il faut rappeler qui parle ici : un éradicateur, un de ceux qui ont orchestré l’annulation du premier scrutin libre de l’histoire algérienne en 1992. Une décision qui a plongé le pays dans une décennie de guerre civile, 250 000 morts, des milliers de disparus, la torture érigée en système. Ceux qui prétendent aujourd’hui parler au nom de l’État sont ceux qui l’ont détruit.
Leur vision de la nation est une nation sans citoyen. Un territoire à gérer, un peuple à surveiller, une jeunesse à contenir. Ce ne sont pas des chefs d’État — ce sont les gardiens d’une forteresse en ruine.
La loi sur la mobilisation : légaliser l’exception permanente
Au cœur du discours du général se trouve le soutien à la nouvelle loi sur la mobilisation générale, présentée comme une adaptation légale “stratégique”. En réalité, il s’agit d’un dispositif de guerre contre les libertés.
Cette loi permettra :
- de restreindre les libertés d’expression et de réunion,
- de suspendre toute critique au nom de l’“unité nationale”,
- et d’imposer une discipline idéologique aux citoyens.
Elle transforme l’état d’urgence en état normal. Elle prépare un pays non pas à résister à un ennemi extérieur, mais à mater un ennemi intérieur désigné : son propre peuple.
Une faillite diplomatique recyclée en menace sécuritaire
Pourquoi cette loi maintenant ? Parce que le régime a échoué sur tous les plans diplomatiques. En Libye, au Sahel, sur le dossier du Sahara occidental, et même dans ses relations bilatérales, l’Algérie est isolée, marginalisée, souvent silencieuse. Le résultat : une impasse stratégique, que la caste militaire tente désormais de compenser par un repli autoritaire.
Au lieu de reconnaître ces échecs, elle instrumentalise le langage du danger. Elle parle de menaces extérieures pour détourner l’attention des fractures internes. Ce n’est pas la sécurité de la nation qu’elle vise, mais la sécurité de sa domination.
Une caste contre un peuple
L’Algérie est dirigée par des hommes dont l’âge moyen dépasse les 70 ans. La population, elle, est composée à plus de 75 % de jeunes de moins de 30 ans. Ce n’est pas un simple décalage générationnel : c’est un abîme historique.
La vieille garde parle de guerre. La jeunesse parle d’avenir. La vieille garde gouverne par décrets, cérémonies et censure. La jeunesse s’organise par réseaux, idées et chants. La vieille garde offre le silence. La jeunesse demande des comptes.
Cette contradiction est intenable. Un pays ne peut pas vivre sur deux temporalités : celle du musée et celle du mouvement.
Une guerre sans peuple
Le plus dangereux dans la loi sur la mobilisation n’est pas son contenu, mais son intention. Ce que prépare le régime, ce n’est pas une guerre pour la défense — c’est une guerre pour le contrôle. Il agite le spectre du Maroc, d’Israël, de l’OTAN, des djihadistes. Mais la vraie bataille est celle de la légitimité.
Il s’agit d’un conflit larvé entre un pouvoir expiré et une jeunesse éveillée. D’un affrontement entre un État sans projet et une société en attente d’horizon. Ce n’est pas le pays qui doit se mobiliser — c’est le régime qui panique.
Ruine stratégique, faillite morale
Le discours du général ne propose aucun projet économique, aucune réforme politique, aucun espace pour la jeunesse. Il n’y a ni vision, ni espoir, ni inclusion. Juste un appel à la discipline, au sacrifice, à l’ordre. L’imaginaire est vide.
Ce régime ne propose pas de vivre ensemble — il propose de se taire ensemble. Il ne gouverne pas — il encadre. Il ne réforme pas — il verrouille.
La seule mobilisation légitime
L’Algérie a besoin d’une autre forme de mobilisation. Une mobilisation des citoyens pour :
- un État de droit,
- une presse libre,
- une économie productive,
- une jeunesse éduquée et actrice.
Cette mobilisation ne viendra pas des casernes, mais des lycées, des universités, des syndicats, des exilés. Ce ne sera pas une mobilisation imposée — ce sera une mobilisation désirée.
Une république confisquée, un peuple qui se souvient
La loi sur la mobilisation n’est pas un signe de force. C’est l’aveu d’un pouvoir à bout de souffle. Incapable d’innover, il militarise. Incapable d’unir, il menace. Incapable d’écouter, il surveille.
Mais le peuple algérien n’a pas oublié. Il se souvient de la décennie noire. Il se souvient du Hirak. Il se souvient de ce que peut être un pays debout, digne, juste.
Ce peuple n’est pas un ennemi. Il est la seule chance du pays.
La souveraineté mutilée
Ce que l’on appelle ici “souveraineté” n’en est plus une. Car une souveraineté sans peuple, sans droit, sans confiance, sans avenir — ce n’est qu’un simulacre.
La véritable souveraineté, c’est celle d’un peuple qui choisit. C’est celle d’une jeunesse qui débat. C’est celle d’une nation qui s’émancipe, non d’une armée qui s’enferme.
Il est temps de reprendre la parole, de refuser la peur, de sortir du silence. Ce pays n’appartient ni aux généraux, ni aux nostalgies. Il appartient à celles et ceux qui veulent enfin vivre, penser, construire.
Khaled Boulaziz