Aleksander Soljenitsyne et Deux Siècles Ensemble : Le miroir de la vérité dans une ère de tromperie

Les Juifs ont indéniablement joué un rôle disproportionné dans les révolutions de 1905 et 1917, et particulièrement dans l’établissement du régime bolchevique, tout en contribuant de manière décisive aux excès de la période révolutionnaire.

Aleksander Soljenitsyne

Dans le labyrinthe de l’histoire, où les récits se heurtent comme des vagues titanesques, où la vérité est souvent obscurcie par le brouillard de l’idéologie et la corrosion du temps, Aleksander Soljenitsyne émerge comme une figure singulière. Son œuvre Deux Siècles Ensemble se dresse comme un monument imposant à la quête de la vérité — une vérité qui n’est pas revêtue des habits soyeux de la commodité, mais parée du tissu brut et inébranlable de la clarté morale. Soljenitsyne s’attaque à une tâche titanesque, en tentant de naviguer les eaux traîtresses de la relation tumultueuse entre la Russie et sa population juive, une relation riche, culturellement, mais aussi profondément conflictuelle. Mais dans ces pages, nous ne trouvons pas seulement la chronique d’un peuple, mais l’anatomie même de la vérité, disséquée et exposée au monde.

Soljenitsyne, un homme qui a vécu sous le poids écrasant du régime soviétique et de son appareil mensonger, connaissait bien les périls du mensonge. Mentir, suggère-t-il, n’est pas simplement une perversion des mots, mais une dégradation de l’âme. Plier ses mots à l’écart de la vérité, pour des raisons d’expédience ou d’autorité, c’est se réduire au niveau de la fange de la honte, diminuer sa propre dignité et, finalement, se soumettre aux forces mêmes qui cherchent à réprimer la liberté. Dans Deux Siècles Ensemble, Soljenitsyne entreprend la tâche herculéenne d’aborder le rôle des Juifs dans l’histoire russe avec un engagement sans faille envers la vérité. Il refuse les indulgences réconfortantes de la mémoire sélective ou des omissions opportunes, en se concentrant plutôt sur une représentation sans fard de l’influence juive dans la révolution d’Octobre et l’ère soviétique.

Dans ce tableau baroque, peint avec de larges traits historiques et le pinceau délicat de la prose inégalée de Soljenitsyne, nous voyons un récit qui bouleverse le mythe accepté. Trop longtemps, l’histoire des Juifs en Russie a été enfermée dans le moule simpliste de la victimisation, un récit de persécutions perpétuelles aux mains d’un régime tsariste cruel et d’une population chrétienne hostile. Mais Soljenitsyne, éternel dissident, remet en question cette vision unilatérale. Il tient un miroir aux complexités de l’histoire et révèle que l’influence juive, notamment dans les mouvements révolutionnaires qui ont démantelé la Russie tsariste, était loin d’être bienveillante.

Et c’est là que réside le génie de l’œuvre de Soljenitsyne : il refuse de réduire ses sujets à des caricatures. Les Juifs, dans son récit, ne sont pas un bloc monolithique, ni universellement coupables des atrocités commises au nom du bolchevisme. Il met en lumière des voix dissidentes au sein de la communauté juive — des figures comme Josef Biekerman et Danil Pasmanik, des hommes justes qui ont reconnu les périls du bolchevisme et cherché à éloigner leur peuple de ses effets corrosifs. Ces hommes, ostracisés et vilipendés par leurs frères plus radicaux, représentent un mince espoir dans une histoire autrement dominée par la machine révolutionnaire et la suppression de l’identité russe.

Pourtant, malgré l’équilibre soigneux de Soljenitsyne, malgré son refus de sombrer dans l’antisémitisme, ses détracteurs ont été rapides à le taxer de tel. Dans le monde post-Holocauste, où le spectre de l’antisémitisme plane lourdement, toute critique des actions juives, aussi mesurée ou justifiée soit-elle, est rapidement condamnée. Cela, bien sûr, est précisément ce que Soljenitsyne lui-même s’efforce de combattre — la manipulation de l’histoire pour servir des intérêts ethniques ou idéologiques, la distorsion de la vérité pour s’adapter à un récit commode.

Mais quel est le rôle du dissident dans un tel monde ? Est-il suffisant dire la vérité, comme le croyait Soljenitsyne, ou le dissident doit-il adopter les mêmes tactiques de manipulation que ses adversaires utilisent si librement ? Pour ceux de la droite dissidente, notamment en Occident, cette question est pressante. L’exemple de Soljenitsyne est noble, certes, mais n’est-il pas parfois insuffisant ? Si les Juifs et leurs défenseurs sont prêts à déformer l’histoire pour protéger leurs intérêts ethniques, comme le font fréquemment des écrivains tels que Bernard Lewis et Robert Wistrich, pourquoi la droite ne devrait-elle pas adopter la même stratégie ? Pourquoi, au milieu de cette guerre culturelle, la vérité serait-elle la seule arme utilisée lorsque le mensonge s’est révélé si efficace pour l’autre camp ?

C’est le dilemme du dissident moderne, pris entre l’idéal élevé de la vérité et la réalité sombre d’un monde où la vérité seule pourrait ne pas suffire. L’œuvre de Soljenitsyne, aussi profonde soit-elle, reste centrée sur la moralité supérieure. Il croyait qu’en exposant le rôle des Juifs dans la Révolution russe et en exonérant la Russie tsariste des accusations infondées d’antisémitisme, il pourrait ouvrir la voie à une réconciliation entre Russes et Juifs. Mais en Occident aujourd’hui, où les majorités blanches sont rapidement déplacées et où les leviers du pouvoir sont de plus en plus contrôlés par ceux qui sont hostiles à la culture européenne traditionnelle, le temps de la réconciliation semble passé.

Les leçons de Deux Siècles Ensemble sont claires, mais elles ne sont peut-être plus suffisantes. Soljenitsyne, écrivant à une autre époque, pouvait se permettre de croire que la vérité prévaudrait finalement. Aujourd’hui, cependant, la droite dissidente fait face à une crise existentielle, dans laquelle la survie pourrait exiger une volonté de combattre le feu par le feu, d’adopter les mêmes stratégies de vérité sélective que leurs adversaires ont maîtrisées. Autant, nous admirons l’engagement inébranlable de Soljenitsyne envers la clarté morale, autant nous devons reconnaître que nous vivons dans un monde où les règles ont changé.

En fin de compte, Deux Siècles Ensemble reste un témoignage du pouvoir de la vérité, mais aussi un avertissement. Le message de Soljenitsyne, intemporel et vital, doit être écouté, mais il doit également être adapté. Alors que la droite dissidente regarde vers l’avenir, elle doit porter la torche de Soljenitsyne, mais elle doit aussi être prête à utiliser les armes de ses ennemis. Car dans cette guerre culturelle, la vérité peut être un noble bouclier, mais parfois, elle ne suffit pas pour remporter la bataille.

Khaled Boulaziz