La Casbah, mon lieu de naissance, autrefois éclatante de la vigueur de la résistance, se meurt aujourd’hui, comme les rêves évanouis des héros qui l’ont habitée et se sont battus pour El Djazair — cette Algérie, jadis simple vision, aujourd’hui pervertie par l’étau impitoyable d’une caste militariste qui a trahi les idéaux du 1er novembre 1954. Sous les pierres effritées de cette citadelle ancestrale, où chaque ruelle autrefois murmurait les légendes de ceux qui ont versé leur sang pour la liberté, s’étend désormais une désolation silencieuse. Les combattants qui arpentaient ces rues, le cœur enflammé par le rêve d’une Algérie libérée, sont partis, et dans leur sillage, la Casbah elle-même semble se dissoudre, rongée non seulement par le temps, mais par la trahison de ceux qui ont détourné leur sacrifice.
Les ombres des anciens continuent de hanter ces ruelles brisées. Je les vois dans les reflets tremblants des murs antiques, leurs esprits tourmentés, comme s’ils étaient eux-mêmes révulsés par la trahison de leurs idéaux. La Casbah est devenue leur mausolée, se désintégrant sous le poids des promesses fracassées par cette caste militaire, non plus défenseur de la nation, mais avide de préserver son pouvoir à tout prix. Ceux qui, autrefois, auraient dû hériter d’un avenir glorieux, se sont métamorphosés en architectes d’une prison, enchaînant non seulement la terre mais l’âme même du peuple.
Je pense à Ali la Pointe, dont la silhouette reste gravée dans la mémoire de ces ruelles étroites, jadis symbole d’une rébellion sans relâche, un homme qui s’est battu pour la nation avec pour seule arme la flamme de la liberté brûlant en lui. Ses pas résonnaient dans ce labyrinthe de ruelles, où chaque coin était un refuge pour le combattant et chaque porte une ouverture vers la résistance. Aujourd’hui, les sentiers qu’il arpentait se sont tus, étouffés par l’indifférence de ceux qui prétendent protéger cette terre tout en serrant son cou. Les ruines de la Casbah, vestiges d’un combat oublié, sont tout ce qu’il reste de son sacrifice, raillant la liberté même pour laquelle lui et ses compagnons ont versé leur sang.
Que ces mots de libération semblent vides à présent, alors que la Casbah, ce symbole de résistance, s’enfonce dans la décrépitude. L’air est lourd, saturé non seulement de son histoire, mais aussi d’un abandon palpable — chaque pierre, chaque fissure raconte non seulement des siècles de luttes passées, mais aussi des promesses abandonnées. Les ruelles, jadis pleines de vie, résonnent maintenant d’une désolation tranquille, comme si la ville elle-même savait qu’elle avait été oubliée par ceux qui avaient juré d’honorer sa mémoire. Les enfants ne rient plus dans ces rues ; elles ne sont plus que le théâtre d’une lente agonie, un patrimoine consumé par la pourriture, autant littérale que symbolique.
Et que dire des idéaux du 1er novembre ? Ce rêve d’une Algérie plurielle, d’une Algérie où chaque enfant de cette terre — qu’il soit arabe, berbère ou d’une autre lignée — pourrait vivre dans la dignité, où la justice et la liberté régneraient sans partage. Ce rêve, qui enflammait autrefois le cœur de millions, a été dévoré par la cupidité et la corruption d’une caste dirigeante qui se drape du manteau de la révolution tout en pillant les richesses et en détruisant l’avenir. Les soldats de cette prétendue révolution, ces généraux confortablement installés dans leurs palais dorés, loin des cris du peuple, ont foulé aux pieds l’essence même de ce que devait être El Djazair. Leur pouvoir, nourri de peur et de violence, est une profanation du sang versé dans ces mêmes rues.
La Casbah, bien que blessée et en ruine, se souvient. Ses pierres ont trop vu pour oublier. Elles se souviennent des jours sombres de l’occupation coloniale, lorsque les habitants d’Alger, armés seulement de leur courage, ont résisté à un oppresseur brutal. Elles se souviennent des bombes qui secouaient ses rues, des embuscades, des sacrifices. Mais plus que tout, elles se souviennent de l’espoir — cet espoir qu’un jour, l’Algérie serait libre, non seulement des chaînes étrangères, mais de toute forme de tyrannie.
Et pourtant, cet espoir a été détourné, transformé en outil de répression par un régime qui trahit les fondations mêmes sur lesquelles la nation fut bâtie. Ce régime, avec ses tanks et ses fusils, ses polices secrètes et ses arrestations nocturnes, prétend agir au nom du peuple, mais ne fait que protéger sa propre survie. La caste militariste s’est retranchée derrière des murs de cupidité et de violence, une nouvelle forme d’occupation, tout aussi dévastatrice que celle contre laquelle le peuple s’était jadis dressé.
La Casbah, autrefois symbole d’unité et de rébellion, se dresse aujourd’hui comme un monument de cette trahison. Les murs qui protégeaient jadis les combattants du FLN s’effritent à présent sous le poids du temps et du mépris. L’âme de la Casbah, comme celle de l’Algérie, est assiégée, non par un ennemi extérieur, mais par ceux-là mêmes qui auraient dû la défendre. Les idéaux de liberté, de justice, d’une terre où tous pourraient vivre en égaux, sont étranglés par les mains qui étaient censées les nourrir.
Les héros de la Casbah ne se sont pas battus pour cela. Ils n’ont pas donné leur vie pour qu’une nouvelle classe d’oppresseurs prenne leur place, pour que la richesse de l’Algérie soit accaparée par quelques-uns pendant que la majorité souffre. Et pourtant, nous en sommes là, dans l’ombre d’une révolution trahie, à regarder la Casbah, comme la nation elle-même, s’effondrer. Les pierres peuvent s’effriter, mais la mémoire de ceux qui ont combattu ne s’éteindra jamais. La Casbah se souvient, même si la nation oublie.
Khaled Boulaziz