Une ligne rouge vient d’être franchie. Le projet de loi sur les mines, actuellement débattu en Algérie, n’est pas une réforme économique — c’est un acte de dépossession. Le pouvoir en place, incapable de restaurer sa légitimité par le suffrage ou la réforme, cherche une issue dans la terre elle-même. Le sous-sol national devient monnaie d’échange. Ce que l’on n’arrive plus à conquérir par la souveraineté politique, on tente de le racheter par la rente minière.
On parle d’attractivité. D’ouverture. De sécurité juridique. Mais les mots sonnent creux lorsque la structure qui les prononce est minée de l’intérieur. La loi propose aux investisseurs étrangers jusqu’à 80 % de parts dans des projets miniers, sous prétexte de partenariat. Le vernis est technocratique, mais le fond est brutal : les richesses de la nation sont bradées pour que perdure un régime dont le seul projet est sa propre conservation.
Quand la servilité atteint des sommets
Trump, lors d’un unique déplacement dans le Golfe, a obtenu plus de 4 000 milliards de dollars en contrats, en promesses, en soumissions. Cet épisode, que beaucoup ont jugé grotesque, a en réalité servi de modèle. Il a démontré qu’une diplomatie fondée sur la dépendance pouvait rapporter gros — à condition d’offrir ce que l’on possède de plus précieux. Les monarchies ont livré leur ciel. L’Algérie, elle, offre son sol.
« Le ciel est la limite », écrivait récemment un éditorialiste lucide. Mais en Algérie, l’abaissement va plus loin encore. Le sol lui-même, imprégné de mémoire, de luttes, de sang versé, est mis aux enchères. Le régime ne recule devant rien pour survivre. Il échange la dignité contre des contrats. Le silence diplomatique contre des concessions minières. L’avenir du pays contre la prolongation de sa propre immunité.
Une souveraineté creuse, un discours enflé
Les discours officiels parlent de “renforcement du contrôle national”, de “vision stratégique”, de “valeur ajoutée”. En réalité, ce sont les fondements mêmes de la souveraineté qui sont sapés. Il ne s’agit pas d’ouvrir l’économie, mais de la livrer. Pas de créer de la richesse nationale, mais de redistribuer des rentes à une oligarchie inféodée aux généraux.
Ce projet parachève la mutation du régime algérien : d’un État né dans la lutte anticoloniale à une structure néo-compradore, prête à vendre la terre libérée hier au plus offrant aujourd’hui. L’héritage du 1er Novembre est converti en actifs négociables. Le mot “République” devient une fiction commode pour légitimer l’accaparement.
Le sous-sol comme caution du silence
Ce que vise le régime, ce n’est pas le développement — mais la paix sociale achetée, le silence politique garanti, l’illusion de maîtrise reconduite. Les mines deviennent un outil diplomatique. On ne vend pas que du fer, du lithium ou de la bauxite : on vend du temps. On vend de l’oubli. Et surtout, on vend la voix d’un peuple qui n’a pas été consulté.
Aucune souveraineté réelle ne peut exister là où les décisions sont prises à huis clos, loin du regard public, sous la seule pression d’un agenda sécuritaire. Aucune réforme n’est crédible quand elle est menée par ceux-là mêmes qui ont tout fait pour empêcher l’émergence d’une économie libre, d’une justice indépendante, d’une presse critique.
Le peuple, les martyrs, la mémoire
Il ne reste plus que la littérature et la parole pour dire ce que l’histoire officielle étouffe. La terre ne parle pas, mais elle enregistre. Les mines exploitées aujourd’hui raconteront un jour le récit d’un État qui, au bord du gouffre, a préféré vendre ce qu’il aurait dû défendre. Les martyrs du passé, eux, ne reviennent pas hanter les vivants. Mais ils jugent. Et ils questionnent.
À qui appartiennent ces richesses ? Qui vous a autorisés à les céder ? En quel nom les avez-vous aliénées ?
Un procès de la langue, une sentence de l’histoire
Le projet de loi sur les mines est un miroir. Il reflète un régime qui n’a plus de récit à offrir, plus de peuple à écouter, plus d’avenir à proposer. Le ciel est peut-être la limite pour certains. Mais pour l’Algérie, c’est la profondeur de l’effondrement qui étonne : vendre la terre pour mieux enterrer la souveraineté.
Un jour, ce livre des concessions sera rouvert. Et ce ne sont pas les investisseurs qui seront convoqués à la barre, mais ceux qui, en silence, ont organisé la dépossession.
Khaled Boulaziz