Si tu ne me rembourses pas ce jour-là,
En tel lieu, telle somme ou telles sommes comme
Stipulées dans les termes, que le gage
Soit fixé à une livre exacte
De ta belle chair, à prélever et à prendre
Dans la partie de ton corps qui me plaira.
William Shakespeare, Le marchand de Venise,
L’usure n’est pas uniquement un outil financier ; c’est une arme d’exploitation utilisée par les puissants pour asservir des sociétés entières. Elle permet à une poignée d’individus de transformer le temps en une marchandise, à acheter et à vendre comme le bien le plus vulgaire. Grâce à ce mécanisme, les riches renforcent leur emprise sur les richesses, les transmettant de génération en génération, tandis que les pauvres sont condamnés à une servitude perpétuelle.
La nature exponentielle de l’usure garantit une concentration rapide des richesses entre les mains d’une caste avide. Cette emprise financière se mue inévitablement en domination sociale, où une élite restreinte dicte le sort des masses. À un certain stade, cette avidité insatiable engendre une demande de croissance insoutenable, plongeant les sociétés dans le chaos. L’histoire nous enseigne que lorsque les écarts de richesse atteignent des niveaux critiques, les opprimés se révoltent. Troubles sociaux, guerres civiles et même conflits mondiaux éclatent sous le poids écrasant de l’usure.
Les sages de l’Antiquité connaissaient bien cette vérité. Aristote, porte-voix de la raison et de la justice, dénonçait l’usure comme une perversion de la loi naturelle. Les textes sacrés du judaïsme, du christianisme et de l’islam interdisaient initialement l’usure, reconnaissant son effet corrosif sur l’harmonie sociale. Pourtant, au XIIe siècle, les gardiens de ces religions ont trahi leurs propres doctrines. Ils ont levé l’interdiction, séduits par la promesse de la domination mondiale.
Ce sont des exégètes juifs, au XIIe siècle, qui ont les premiers déclaré l’usure licite. Calvin, des siècles plus tard, leur emboîta le pas, rompant avec l’Église catholique et trouvant refuge dans le protestantisme. Cette trahison donna naissance à un nouvel ordre mondial : l’empire financier judéo-protestant. Armés de la croissance exponentielle de l’usure, ces forces dépassèrent toutes les autres. Elles établirent les premières banques centrales dans les territoires protestants dès le XVIIe siècle, jetant les bases de la domination financière mondiale actuelle. N’est-il pas révélateur que les principales places financières mondiales – Genève, Londres, New York – soient enracinées dans le protestantisme ? Ou que les plus grandes banques, telles que JP Morgan et Goldman Sachs, aient été fondées par des familles protestantes ou juives ?
En France, les physiocrates du XVIIIe siècle – économistes ultralibéraux – montèrent en puissance, défiant à la fois l’État et l’Église catholique. Ils prônaient un libre-échange débridé, exigeaient la non-intervention de l’État et légitimaient une usure sans limites. Leurs idées imprudentes plongèrent la France dans une dette insoutenable, déclenchant les flammes de la Révolution française. L’une des premières lois votées par l’Assemblée constituante fut la déréglementation totale des taux d’intérêt. En 1800, Napoléon, séduit par les financiers privés, créa la Banque de France, une institution soi-disant nationale mais servant des intérêts privés, dont l’Empereur lui-même devint actionnaire.
Le XIXe siècle vit les usuriers resserrer leur emprise. Ils écrasèrent les classes laborieuses et pillèrent les richesses des nations. Cette ère de tyrannie financière déchaînée provoqua la résistance de penseurs révolutionnaires comme Proudhon et Marx, qui cherchèrent à mobiliser les opprimés contre les forces omnipotentes du capital.
Mais la tyrannie de l’usure ne se limita pas à l’Europe. Elle devint un outil de conquête impériale, permettant de coloniser les régions les moins financiarisées du monde, notamment en Afrique et en Amérique du Sud. Les ouvriers européens exploités et les peuples colonisés partageaient alors un oppresseur commun : l’usurier protestant, l’usurier juif, l’usurier matérialiste… En somme, l’usurier.
L’usure en tant qu’arme de colonisation est indéniable. La Tunisie en 1881, l’Égypte en 1882 et le Maroc en 1912 furent colonisés non pas par la force militaire, mais par le poison mortel de la dette. L’Empire ottoman, lui aussi, fut infiltré et affaibli. La soi-disant Banque ottomane, créée en 1856 par des financiers français et britanniques, servit de cheval de Troie, drainant l’empire par la dette tout en se faisant passer pour une banque centrale.
À mesure que l’Empire ottoman s’effondrait sous le poids des assauts financiers et militaires, les vautours se rassemblèrent. L’accord Sykes-Picot de 1916 partagea le Moyen-Orient, scellant le sort de l’empire. En 1917, le gouvernement britannique déclara son soutien à un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine. La célèbre Déclaration Balfour fut adressée à Lord Rothschild, symbole des forces financières qui avaient soutenu l’effort de guerre britannique.
La famille Rothschild, enrichie par ses exploits usuraires, avait déjà commencé à acheter des terres en Palestine sous contrôle ottoman dès le XIXe siècle. Ils financèrent le projet sioniste de Theodor Herzl, préparant ainsi le terrain pour la dépossession du peuple palestinien.
En fin de compte, l’Empire ottoman tomba parce qu’il ouvrit ses portes à l’usure. Le monde musulman fut divisé et affaibli par le colonialisme et les trahisons nationalistes, empoisonné par la dette et les conflits internes. Usure et division : ces deux cancers détruisirent l’empire et ouvrirent la voie à la perte de la Palestine.
Usure et division : les deux armes qui ont permis au monde judéo-chrétien de s’emparer de la Palestine, laissant une plaie béante au cœur d’un monde musulman divisé.
La cause palestinienne résonne si profondément parce que ses racines sont empreintes de trahison et d’oppression. Le conflit israélo-palestinien n’est pas une lutte isolée ; il est le fruit de l’usure, de la colonisation et de la fragmentation du monde musulman, alimenté par l’ethnocentrisme européen et la barbarie du capital prédateur. Ce conflit nous oblige à affronter notre histoire collective d’exploitation et de résistance.
Ce conflit divise l’humanité. D’un côté, ceux qui acceptent l’usure, les conquêtes impérialistes et les hiérarchies raciales. De l’autre, ceux qui résistent à la domination des peuples, à l’asservissement des travailleurs et à la suprématie des puissances financières.
Nous ne vivons pas un choc des civilisations ou des religions. Nous assistons à une bataille entre un ordre mondial usuraire et les damnés de la terre qui refusent de plier sous son joug.
Khaled Boulaziz