La Cinquième République : De Gaulle à Macron, chronique d’une décadence inéluctable

Un des caractères essentiels de la Constitution de la Vᵉ République, c’est qu’elle donne une tête à l’État. 

De Gaule — homme d’État Français – (1890 – 1970)

Introduction

La Cinquième République française, instaurée en 1958 par Charles De Gaulle, est souvent perçue comme une réponse nécessaire à la crise politique et militaire que traversait la France. Alors que la Quatrième République s’effondrait sous le poids de la défaite de Dien Bien Phu et la guerre d’Algérie, la Cinquième République est née dans un contexte de bouleversement et d’espoir de renouveau. Cependant, malgré ses promesses initiales de stabilité et de centralisation du pouvoir, la Cinquième République a montré des signes de déclin depuis plus d’une décennie, culminant avec les désastres électoraux récents et la montée de nouvelles forces politiques.

La Genèse de la cinquième république

Pour comprendre pourquoi la Cinquième République a échoué, il est crucial de revenir sur ses origines. En 1958, la France était en pleine guerre d’Algérie, un conflit qui menaçait de diviser le pays et de faire tomber le gouvernement. Charles De Gaulle, figure emblématique de la Résistance et président du gouvernement de transition, a utilisé cette crise pour proposer une réforme constitutionnelle majeure. Il envisageait un système de gouvernement où le président disposerait de pouvoirs exécutifs renforcés, contrastant avec le parlementarisme instable de la Quatrième République.

La réforme gaulliste a été approuvée par référendum avec plus de 79 % des voix, marquant le début de la Cinquième République. En 1962, un amendement a introduit l’élection du président au suffrage universel direct, consolidant encore davantage son pouvoir. La France est ainsi passée d’un régime parlementaire à un régime semi-présidentiel, avec un président élu directement par les citoyens.

Le fonctionnement de la cinquième république

La Cinquième République est caractérisée par une forte concentration des pouvoirs exécutifs entre les mains du président, qui partage ses prérogatives avec un premier ministre issu de la majorité parlementaire. Ce modèle était censé offrir une stabilité politique en réunissant les traditions monarchiques et républicaines de la France. Le président élu incarne non seulement l’unité nationale, mais il est aussi responsable de la direction stratégique du pays, tandis que le premier ministre s’occupe des affaires courantes.

L’élection du président et des députés de l’Assemblée nationale suit un processus en deux tours. Le système électoral pour l’Assemblée nationale est similaire à celui du Royaume-Uni, où les candidats doivent obtenir une majorité absolue pour être élus, souvent nécessitant un second tour.

Les premières décennies : De Gaulle et ses successeurs

Pendant les premières décennies de la Cinquième République, ce système a semblé fonctionner. Charles De Gaulle, et plus tard Georges Pompidou et François Mitterrand, ont maintenu une certaine stabilité et continuité. La figure du président était respectée et perçue comme un garant de l’unité nationale. De Gaulle, en particulier, a réussi à instaurer une centralisation du pouvoir qui a permis à la France de naviguer à travers des périodes de crise.

De Gaulle s’est également distingué par sa politique étrangère indépendante. Il a refusé de suivre aveuglément les politiques des États-Unis et de l’OTAN, prônant une « politique de grandeur » qui visait à renforcer l’autonomie stratégique de la France. Cette approche a été marquée par des décisions symboliques, telles que le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966 et le développement d’une force de dissuasion nucléaire indépendante.

Le déclin sous Sarkozy, Hollande et Macron

Le tournant décisif dans la perception de la Cinquième République est venu avec les présidences de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Sarkozy, élu en 2007, a commencé à éroder l’aura d’inviolabilité associée à la fonction présidentielle. Ses réformes controversées et son style de leadership ont créé des divisions. François Hollande, qui lui a succédé en 2012, a aggravé cette situation avec des politiques incohérentes et une incapacité à maintenir une majorité parlementaire stable.

Contrairement à De Gaulle, Sarkozy, Hollande et Macron ont adopté des politiques beaucoup plus alignées sur les intérêts atlantiques. Sous leur leadership, la France a souvent suivi les directives des États-Unis et de l’OTAN, s’éloignant de la politique d’indépendance que De Gaulle avait défendue. Cette subordination aux politiques hégémoniques atlantiques a contribué à une perception d’affaiblissement de la souveraineté française sur la scène internationale.

Macron et la crise de légitimité

L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a été perçue comme une tentative de renouveau. Macron s’est présenté comme une alternative aux partis traditionnels, promettant de rompre avec l’ancienne politique. Il a remporté une victoire écrasante contre Marine Le Pen du Front national, en partie grâce à une coalition de forces politiques unies contre l’extrême droite.

Cependant, une fois au pouvoir, Macron a continuellement adopté des positions contradictoires pour maintenir un équilibre politique, s’aliénant ainsi ses partisans des deux bords. Ses tentatives de réformes ambitieuses ont été entravées par des mouvements sociaux massifs, comme les Gilets jaunes, et par des contestations au sein de son propre camp. La perception de Macron comme un « nouveau De Gaulle » a rapidement cédé la place à l’image d’un politicien opportuniste et déconnecté.

La débâcle des élections européennes de 2024

Les élections européennes de 2024 ont marqué un point culminant dans le déclin de la Cinquième République. Le bloc macronien a subi une défaite sévère, et la montée en puissance du Rassemblement national de Marine Le Pen et de son dauphin Jordan Bardella a mis en évidence la profonde désillusion des électeurs. Ce résultat n’est pas un simple échec électoral, mais le signe d’une rupture fondamentale entre les institutions de la Cinquième République et la société française.

La cinquième république est-elle encore viable ?

Le modèle de la Cinquième République, conçu pour unifier et stabiliser la France, semble aujourd’hui inadéquat pour répondre aux défis contemporains. La concentration du pouvoir entre les mains du président, autrefois une force, est devenue une source de division et d’inefficacité. Le déclin de la confiance dans les institutions et la montée des extrêmes politiques montrent que le système actuel ne parvient plus à incarner l’unité nationale ni à offrir une gouvernance efficace.

La subordination de la politique étrangère française aux intérêts atlantiques a également contribué à l’affaiblissement de la Cinquième République. Alors que De Gaulle avait réussi à établir une politique étrangère indépendante, ses successeurs ont souvent choisi de suivre les politiques hégémoniques des États-Unis, ce qui a érodé la perception de la souveraineté française.

Conclusion

La Cinquième République française, née de la crise algérienne et de la volonté de De Gaulle de centraliser le pouvoir, a longtemps paru une solution viable aux instabilités politiques. Cependant, les récents désastres électoraux et la montée des mouvements populistes indiquent que ce modèle est en crise profonde. La France se trouve à un carrefour, nécessitant une réflexion profonde sur ses institutions et peut-être une réforme constitutionnelle pour répondre aux exigences du XXIe siècle. Si la Quatrième République est morte à Dien Bien Phu, la Cinquième semble aujourd’hui en train de rendre son dernier souffle, victime des mêmes forces de division et de changement qui l’ont autrefois créée.

Khaled Boulaziz