Algérie, voyage au bout de l’imaginaire effaré, d’une nation à bout de souffles

Ne pas vouloir être gouverné, c’est bien sûr ne pas accepter comme vrai ce qu’une autorité vous dit être vrai, ou du moins ce n’est pas l’accepter parce qu’une autorité vous dit qu’elle est vraie, c’est ne l’accepter que si on considère soi-même comme bonnes les raisons de l’accepter.

Michel Foucault, Philosophe

L’Algérie, nation au destin tourmenté, se voit en proie depuis 1962 aux affres d’un régime militaire implacable. Depuis son indépendance de la France, cette terre imprégnée d’histoire et de luttes a subi l’emprise inexorable d’une élite militariste, dont la domination a laissé une empreinte indélébile sur la psyché collective de son peuple.

Cet essai, dans une prose simple, s’emploie à dépeindre l’impact psychologique de cette dictature, examinant avec une rigueur incisive comment de tels régimes façonnent le comportement individuel, les interactions sociales et les mécanismes de contrôle.

La prise de pouvoir militaire initiale (1962)

En 1962, après une guerre d’indépendance sanglante contre la puissance coloniale française, l’Algérie accéda enfin à la liberté. Cependant, cette libération tant attendue fut rapidement ternie par un coup d’État militaire orchestré par Houari Boumédiène, qui établit un régime autoritaire sans concession. La transition brutale de la domination coloniale à la dictature militaire engendra une atmosphère d’incertitude et de terreur, où les espoirs de démocratie furent étouffés sous le poids d’une nouvelle forme de despotisme.

Dans cette tourmente, les individus, en quête de sécurité et de stabilité, furent contraints de se soumettre à l’autorité en place, aspirant à une protection illusoire contre les affres de la liberté et de l’incertitude. La peur des représailles et le désir de sécurité conduisirent à une conformité généralisée, où l’obéissance devint une nécessité de survie.

Les années 1970 et 1980 : Consolidation du pouvoir militaire

Les décennies suivantes virent cette caste renforcer leur emprise sur l’Algérie, écrasant toute opposition et contrôlant les aspects vitaux de la vie politique et économique. Cette époque fut marquée par la répression politique, la censure et des violations systématiques des droits de l’homme. Sous cette chape de plomb, la santé mentale des Algériens se détériora, avec une augmentation alarmante de l’anxiété, de la dépression et du syndrome de stress post-traumatique.

L’exposition prolongée à un régime autoritaire façonna des personnalités soumises et conformistes, où la dissidence était mortelle et la loyauté envers le régime un impératif vital. La méfiance et l’isolement devinrent monnaie courante, érodant le tissu social et laissant des cicatrices profondes dans l’âme collective de la nation.

Le coup d’État de 1992 et la guerre civile

L’année 1992 marqua un tournant décisif avec l’intervention militaire annulant les élections démocratiques, déclenchant une décennie de guerre civile brutale. Le recours systématique à la violence par les forces de sécurité, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires devinrent des instruments de terreur visant à maintenir le contrôle. Les groupes insurgés islamistes, notamment le Groupe Islamique Armé (GIA), ajoutèrent à cette horreur par des actes de barbarie indicibles contre les civils.

Les massacres de Bentalha et de Rais en 1997 sont des exemples poignants de cette violence aveugle. Ces atrocités, loin d’être des événements isolés, illustrèrent un schéma de terreur destiné à traumatiser des communautés entières, laissant derrière elles un héritage de peur, d’impuissance et de désespoir.

Les couvre-feux imposés par le gouvernement, censés maintenir l’ordre, furent détournés pour perpétrer des enlèvements et des assassinats nocturnes, ajoutant une couche supplémentaire de terreur à la vie quotidienne des Algériens. Cette menace constante de violence, couplée aux pertes réelles et au traumatisme, forgea un traumatisme collectif durable, façonnant des personnalités résignées et conformistes.

L’Ère Bouteflika : Tentatives de réduire le pouvoir militaire

Avec l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999, des efforts furent entrepris pour réduire l’influence des généraux. Les politiques de réconciliation nationale et de réforme économique insufflèrent un semblant d’espoir parmi le peuple, mais la lenteur des réformes et l’instabilité politique persistante alimentèrent frustration et désillusion. L’impact social fut un mélange complexe d’optimisme et de scepticisme, alors que les Algériens naviguaient dans les méandres d’une transition politique incertaine.

Le Hirak et la domination militaire continue

En février 2019, le Hirak émergea, symbole vibrant du désir de changement et de justice du peuple algérien. Cependant, malgré l’élan initial, les militaires parvinrent à maintenir leur emprise, usant d’une répression subtilement mêlée à des concessions stratégiques pour étouffer les protestations. Cette persistance de l’autoritarisme souligna les défis herculéens de démanteler des systèmes de contrôle profondément enracinés.

Le Hirak, bien qu’ayant révélé la résilience et la détermination du peuple, mit également en lumière la frustration et l’impuissance face à une machine militaire inébranlable. La lutte continue pour la liberté et la justice demeure une force modelant la psyché collective de la nation.

Conclusion

L’impact psychologique de la dictature militaire en Algérie est vaste et complexe. Des décennies de régime autoritaire ont imprimé des cicatrices indélébiles sur les individus et la société, se manifestant par une peur généralisée, des traumatismes profonds et un sentiment d’insécurité omniprésent. Cependant, la résilience et la détermination du peuple algérien offrent une lueur d’espoir pour l’avenir. Comprendre les dimensions psychologiques de cette domination est essentiel pour aborder ses conséquences à long terme et soutenir la nation dans sa quête de guérison et de reconstruction.

Mais, le peuple algérien se sent épuisé par cette façon de vivre (*). Chaque élection présidentielle transforme le pays en un état de siège, et le peuple retient son souffle dans l’angoisse d’un possible dérapage. Dans cette atmosphère lourde de tension et d’incertitude, les aspirations à la liberté et à la démocratie semblent souvent hors de portée, étouffées par les rouages implacables d’un pouvoir militaire inflexible. Pourtant, malgré cette oppression, l’esprit indomptable du peuple algérien persiste, nourrissant l’espoir d’un meilleur avenir où règnent justice et liberté.

Khaled Boulaziz

(*) À l’heure où cet article est écrit, un incident dans une structure militaire à Oran été relayé sur les réseaux sociaux par de centaines de milliers d’Algériens.