Si la liberté d’expression évoque un renouvellement de la démocratie, ce n’est pas parce qu’elle porte en elle les valeurs au fondement d’institutions politiques à venir, mais bien parce qu’elle est le seul rempart à la confiscation de cette même démocratie.
Michel Foucault – Philosophe Français – (1926 -1984)
Aperçu historique de la démocratie
La démocratie, ce mot chargé d’histoire et d’espoir, trouve ses racines dans la Grèce antique, et plus précisément à Athènes au Ve siècle avant notre ère. Inventée par Clisthène, cette forme de gouvernement représentait alors un idéal révolutionnaire où chaque citoyen avait son opinion à dire dans la gestion de la cité. Le terme même de démocratie, dérivé du grec « dêmos » (peuple) et « kratos » (pouvoir), symbolisait une rupture avec les régimes autoritaires et oligarchiques qui dominaient jusque-là.
Cependant, la démocratie athénienne n’était pas exempte de limitations. Les femmes, les esclaves, et les métèques (étrangers résidant à Athènes) en étaient exclus. Pourtant, malgré ces imperfections, cette première expérience démocratique a marqué l’histoire, influençant les philosophes et les penseurs à travers les siècles.
Avec la chute de la Grèce et la montée en puissance de l’Empire romain, l’idée démocratique s’est étiolée, pour renaître bien plus tard, au Siècle des Lumières. Des penseurs comme Montesquieu, Rousseau et Locke ont redonné vie à ce concept, le redéfinissant et l’adaptant aux contextes modernes. Leurs écrits ont jeté les bases des révolutions américaine et française, qui allaient insuffler une nouvelle dynamique à la démocratie, désormais envisagée comme un droit universel.
La fortuiture de la démocratie
Si la démocratie se voulait une promesse de liberté et de participation, elle a souvent été détournée par ceux-là mêmes qui devaient la garantir. Des millions de personnes ont donné leur vie en son nom, séduits par des promesses de pouvoir populaire, mais souvent trahis par des élites corrompues ou manipulatrices.
Les révolutions du XVIIIe siècle, bien que porteuses d’espoir, ont aussi révélé les premières trahisons de la démocratie. La Révolution française, après avoir renversé la monarchie, a rapidement sombré dans la Terreur. Robespierre, au nom de la vertu et de la démocratie, a instauré un régime de violence et de répression. Les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité se sont dissous dans le sang des guillotinés.
Plus près de nous, au XXe siècle, la démocratie a souvent été invoquée pour justifier des guerres, des coups d’État et des répressions. Combien de dictateurs se sont-ils proclamés défenseurs du peuple pour mieux asseoir leur pouvoir? Des régimes totalitaires comme celui de l’Union soviétique de Staline à la dictature nazie de Hitler ont tous, d’une manière ou d’une autre, prétendu œuvrer pour le bien du peuple. Les millions de morts dans les goulags, les camps de concentration, ou sur les champs de bataille sont autant de témoignages de la déviation monstrueuse de la démocratie.
Au-delà des régimes autoritaires, même dans les démocraties contemporaines, l’illusion démocratique persiste. Les élections, censées être le sommet de l’expression démocratique, sont souvent perverties par l’argent, les médias, et les manipulations politiques. La domination des grandes entreprises et des lobbys sur les décisions politiques montre que le pouvoir est souvent loin du peuple. Les citoyens, tout en votant, sentent que leur voix n’a que peu d’impact sur les décisions cruciales qui affectent leur vie quotidienne. Ce sentiment d’impuissance nourrit le désenchantement et l’abstention, révélant la fragilité de nos démocraties modernes.
Justice sociale, liberté d’expression et légitimité du pouvoir
La démocratie ne saurait avoir de sens si elle n’est pas le fondement même de la justice sociale, de la liberté d’expression et de la légitimité des dirigeants. La justice sociale assure que tous les citoyens, indépendamment de leur origine ou de leur statut, bénéficient des mêmes opportunités et droits. Sans cette équité, la démocratie devient une coquille vide, servant uniquement les intérêts des puissants.
La liberté d’expression est un autre pilier fondamental. Elle permet le débat, la critique, et la libre circulation des idées, indispensables pour une véritable participation citoyenne. Dans des régimes où cette liberté est muselée, la démocratie est réduite à une simple apparence, incapable de se régénérer ou de s’adapter aux besoins changeants de la société.
La légitimité des dirigeants est également cruciale. Les gouvernants doivent être élus de manière transparente et équitable, et rester responsables devant le peuple. Sans cette légitimité, la confiance dans les institutions démocratiques s’érode, laissant place à la corruption et à l’autoritarisme.
Les Algériens, parmi tant d’autres peuples, furent séduits et abandonnés par les chantres du mot démocratie. Après avoir lutté pour leur indépendance et cru en un avenir démocratique, ils ont souvent été trahis par des leaders qui ont utilisé la rhétorique démocratique pour mieux asseoir leur pouvoir personnel. Les espoirs nés des soulèvements populaires se sont souvent heurtés à la réalité brutale de régimes répressifs, qui ont échangé la promesse de liberté contre le maintien d’un ordre autoritaire.
Le combat pour une vraie démocratie
Pourtant, malgré ces trahisons et détournements, l’idéal démocratique n’a jamais cessé d’inspirer les peuples. Chaque génération, dans chaque coin du monde, a vu naître des mouvements citoyens réclamant justice, égalité et participation. Les printemps arabes, les manifestations de la place Tahrir, les indignés de la Puerta del Sol, les gilets jaunes en France, et hirak algérien sont autant de signes que la flamme de la démocratie brûle encore dans le cœur des peuples.
Le courage politique , c’est de chercher la vérité et de la dire et de ne point se contenter des apparences dans la quête d’approfondir et renforcer les systèmes de gouvernance.
Et pour que la démocratie ne soit plus un mot creux, il est essentiel d’éduquer les citoyens, de favoriser leur participation active et de garantir la transparence et la responsabilité des gouvernants. Les technologies modernes, bien utilisées, peuvent devenir des outils puissants pour revitaliser la démocratie, en facilitant l’accès à l’information et en permettant des formes nouvelles de participation directe.
La démocratie ne peut être un simple slogan ou une façade. Elle doit être vécue et pratiquée chaque jour. Les millions de morts qui ont cru en elle sans vraiment la vivre nous obligent à un devoir de mémoire et d’action. Leur sacrifice doit nous inspirer à construire une démocratie véritable, où chaque voix compte, où chaque citoyen a sa place, et où le pouvoir est réellement exercé par et pour le peuple.
En ce sens, la démocratie est un combat permanent, un idéal à jamais perfectible, mais dont la quête nous élève et nous unit dans notre humanité commune.
Khaled Boulaziz