L’Algérie : le salut par la libre parole

La philosophie n’est pas la science qui s’interroge sur ce qui est vrai et ce qui est faux, mais sur ce qui fait que les choses soient considérées comme vraies ou fausses. C’est-à-dire que la philosophie est la forme de pensée qui s’interroge sur ce qui permet aux êtres humains d’avoir accès à la vérité, dans les jeux de vérité.

Michel Foucault – Philosophe français – (1926-1984)

L’histoire est écrite par les vainqueurs, ce qui impose un régime de vérité. Dans cette imposture, un autre régime de vérité est relégué à l’oubli, enveloppé dans le silence d’une histoire alternative, restée à jamais muette.

Ce silence historique, qu’il faut explorer, n’est que le résultat d’une oppression, la suppression d’un point de vue ; conséquence d’un éternel rapport de forces, matrice de la tragédie humaine.

Si l’écriture de l’histoire n’est pertinente que pour les vivants, son objectivité ne peut être établie qu’en donnant la parole à ceux qui ont été contraints au silence par la brutalité de l’histoire et les systèmes de violence et d’exploitation.

Cependant, les vaincus sont ceux à qui, par définition, la parole a été retirée. Et même s’ils pouvaient s’exprimer, ils ne parleraient pas leur propre langue, mais une langue imposée, celle du pouvoir.

Toute réflexion sur la condition humaine doit d’abord viser à défaire le lien entre l’exercice du pouvoir et la manifestation de la vérité. Il faut montrer qu’aucun pouvoir ne peut s’exercer sans manifester une vérité, et qu’il existe toujours, dans l’exercice du pouvoir, des rituels de vérité, qui ne sont pas simplement des activités rationnelles de connaissance.

C’est dans ce paradigme que l’on doit chercher la genèse de la raison d’État, qui a fait du pouvoir l’art de gouverner et a engendré une série de connaissances objectives pour le soutenir, comme l’économie politique, la sociologie, la démographie, et d’autres moins objectives comme la légitimité révolutionnaire ou religieuse.

Ces connaissances, qui nous semblent évidentes, doivent être interrogées sur leur origine. Les conseillers, ministres et vizirs des cours des siècles passés, ancêtres des hommes politiques actuels, ont dû d’abord chasser les divins et les oulémas/prêtres pour prendre leur place. La chasse aux mages apparaît ainsi non comme un simple phénomène religieux, mais comme une véritable guerre entre deux régimes de vérité, luttant pour le monopole politique.

La raison d’État est une manière de réfléchir afin de formuler un statut assignable au rapport entre l’exercice du pouvoir et la manifestation de la vérité.

On peut distinguer au moins quatre grandes familles de points de vue sur ce rapport depuis l’affirmation de la raison d’État.

  1. Le principe de rationalité : La vérité est celle de l’État, la raison du pouvoir en place, conquis par les armes ou les urnes.
  2. Le principe de la rationalité économique : La vérité constitue la valeur commune entre gouvernants et gouvernés, qui jouent ensemble une pièce de la nature et de sa vérité. Cette conception découle de l’idée que, si les hommes gouvernaient en toute transparence, la nature et les choses gouverneraient à leur place.
  3. Le principe du retournement de la compétence particulière en éveil universel : Si tout le monde connaissait toute la vérité sur la société, le gouvernement ne pourrait plus gouverner et ce serait immédiatement la révolution. Si tout le monde savait, le régime capitaliste ne tiendrait pas vingt-quatre heures.
  4. Le principe de la conscience commune : Les régimes socialistes tiennent parce que tout le monde sait la vérité. La terreur n’est pas un art de gouverner caché, mais la gouvernementalité à l’état nu, à l’état cynique. Dans la terreur, c’est la vérité qui immobilise et glace.

En conclusion, il n’y a rien d’intrinsèque qui justifie l’existence d’un pouvoir si ce n’est le poids de l’Histoire, qui, dans un rapport de forces, fait émerger un régime de vérité, socle de son existence.

S’en convaincre, c’est s’affranchir d’un état de tutelle et de minorité prolongée qui a trop duré.

Mais c’est ultimement se libérer pour utiliser son entendement afin de répondre au défi d’une société juste, qui doit par le courage remettre en cause les vérités du moment ; là où la parole n’est pas encore inopérante, où oser savoir et agir en conséquence est encore possible, et où la voix de la sagesse peut encore être écoutée.

La libération commence par le recouvrement du droit à la parole, car c’est à travers l’expression libre et authentique que les individus peuvent revendiquer leur humanité et leur dignité. En rétablissant ce droit fondamental, on brise les chaînes de l’oppression et on ouvre la voie à une véritable émancipation individuelle et collective.

L’Algérie ne peut échapper à cette injonction.

Khaled Boulaziz