Algérie : la pharmacie du peuple contre la République des casernes

Dans les ruelles désolées d’Alger comme dans les villages exsangues du Sud, les pharmacies sont devenues des chapelles modernes où le peuple en haillons vient mendier quelques grammes de vitamines comme on implore un miracle. Non pas pour se fortifier, mais pour survivre.

L’anémie, ce mal silencieux qui dévore la jeunesse et fait chanceler les mères, n’est pas une fatalité nutritionnelle : c’est une conséquence directe de la déréliction d’un État confisqué. En Algérie, 41 % des femmes en âge de procréer sont anémiques, 32 % des enfants souffrent de carences en fer, et les rares études nationales qui osent encore évaluer la santé publique font l’objet d’un silence pesant, comme si la vérité elle-même devait être classifiée.

Le peuple algérien s’appauvrit à une vitesse qui défie la raison, pendant que la caste militaire, planquée derrière les miradors de l’État-major, continue de pomper les ressources du pays avec la délicatesse d’un régiment de charognards. Le marché des compléments alimentaires, qui aurait dû rester marginal, explose : de 32,1 % de consommateurs occasionnels avant la pandémie, on est passé à plus de 54,2 % en pleine crise sanitaire.

Ce boom n’est pas un signe de bonne santé, mais de panique généralisée. La vitamine C, le zinc, le magnésium et la D3 sont devenus les armes dérisoires d’une population épuisée, privée de tout sauf de sa dignité.

Mais que valent ces pilules effervescentes face à un régime qui a fait de la santé une marchandise et du peuple un cheptel silencieux ? Pendant que les généraux s’offrent des check-up à Genève et des implants capillaires à Dubaï, les enfants d’Algérie avalent des médicaments frelatés, des farines sans fer, des repas sans protéines.

La santé n’est plus un droit, mais une faveur que distribue l’État-major à ses affidés. La pharmacie est le dernier lieu où l’illusion d’un État social persiste, alors que tout, jusqu’aux hôpitaux, a été converti en annexes du néant.

Et pourtant, dans ce désert médical et nutritionnel, le régime dépense sans trembler 23 milliards de dollars pour engraisser son armée. Une armée hypertrophiée, suréquipée, bardée de ferraille téléguidée à distance, incapable de défendre la moindre frontière, mais prête, toujours, à être retournée contre son propre peuple.

Cette armée de parade, de showrooms et de bastonnades, n’est pas un rempart : c’est un outil de domestication. Ni guerre libératrice, ni doctrine stratégique, seulement la logique éternelle des baïonnettes pointées vers l’intérieur.

Le budget militaire algérien est une offense à la misère, un investissement dans la peur, une police des consciences drapée dans les oripeaux du patriotisme.

Il faut le dire sans trembler : tant que le sang du budget national irrigue les casernes et non les hôpitaux, l’Algérie restera malade — d’une maladie qui ne se soigne ni par les vitamines, ni par les slogans, mais par l’extraction radicale du pouvoir des mains qui l’ont confisqué.

Khaled Boulaziz