Il est des vérités que l’on tente d’enfouir sous un silence bureaucratique, mais qui finissent toujours par refaire surface. Parmi elles, les accords entre la France et l’Algérie de 2007 et 2013, méconnus du grand public et soigneusement occultés par les élites au pouvoir, offrent aux dirigeants algériens un privilège que le citoyen lambda n’osera jamais espérer : le droit d’entrer et de séjourner en France sans visa pendant 90 jours sur chaque période de 180 jours. Pendant que l’Algérien moyen trime pour rassembler des dossiers interminables, subit les humiliations des consulats français et voit ses demandes rejetées sans justification, ceux qui l’ont réduit à la misère jouissent d’un passe-droit digne des anciens colons.
Le premier accord, signé le 10 juillet 2007 et publié en France par le Décret n° 2008-844 du 25 août 2008, était déjà une insulte au peuple algérien : il accordait aux détenteurs d’un passeport diplomatique le privilège d’entrer en France et dans l’espace Schengen sans visa. Mais ce n’était qu’un début. Car en 2013, un nouvel accord vient élargir encore davantage cette faveur indécente, cette fois aux détenteurs d’un passeport de service. Publié en France par le Décret n° 2014-1003 du 4 septembre 2014, il assure à toute une caste de fonctionnaires et d’apparatchiks un accès libre à la France, comme s’il s’agissait de leur deuxième patrie.
Cette injustice n’a fait que s’aggraver avec le Décret présidentiel n° 23-201 du 1er juin 2023, publié au Journal Officiel algérien. Ce texte vient institutionnaliser ces privilèges en fixant les conditions d’attribution des passeports diplomatiques et de service, assurant ainsi la pérennité de cette inégalité criante. Désormais, les membres du gouvernement, les présidents d’institutions constitutionnelles, les ambassadeurs et même des fonctionnaires en mission officielle, ainsi que leurs familles peuvent jouir d’un accès quasi illimité à la France, pendant que le peuple algérien doit, lui, faire la queue pendant des mois pour un hypothétique visa touristique qu’il n’obtiendra probablement jamais.
Un système à deux vitesses : les nantis et les damnés
Ce scandale met en lumière une réalité brutale et révoltante : la France sert de refuge doré aux dirigeants algériens pendant que ces derniers transforment leur propre pays en prison à ciel ouvert pour leur peuple. La population algérienne, étranglée par la répression, la pauvreté et l’absence de perspectives, ne peut que regarder avec rage et impuissance ces élites corrompues s’acheter des villas en banlieue parisienne, placer leurs enfants dans les meilleures écoles françaises et profiter des soins médicaux de l’Hexagone, pendant que les hôpitaux algériens s’effondrent.
Il ne s’agit pas d’un simple arrangement administratif. C’est un pacte de connivence entre Paris et la junte algérienne, un accord tacite où chacun y trouve son compte. Pour la France, c’est l’assurance de garder un contrôle officieux sur l’Algérie en ménageant ses élites, de préserver ses intérêts économiques et d’assurer une stabilité qui lui permet de continuer à exploiter les ressources du pays. Pour la junte algérienne, c’est l’ultime garantie d’un exil doré si jamais le peuple venait à se soulever. Car en cas de crise majeure, où fuiraient les généraux, les ministres et les dignitaires du régime ? À Paris, à Nice, à Marseille… là où leurs comptes bancaires sont déjà bien garnis et où leurs villas les attendent patiemment.
Pendant ce temps, les jeunes Algériens rêvent d’un visa comme d’un sésame vers la liberté, à tel point que ceux qui ne l’obtiennent pas n’hésitent plus à risquer leur vie en traversant la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Les passeports algériens n’ont pas la même valeur pour tout le monde : pour les privilégiés du régime, ils sont un laissez-passer vers une vie de luxe en France ; pour les citoyens ordinaires, ils sont une condamnation à l’exil clandestin ou à la résignation.
L’hypocrisie française : une « fermeté » à géométrie variable
La France aime à se poser en rempart contre l’immigration clandestine. Ses dirigeants n’ont de cesse de clamer haut et fort leur volonté de contrôler les flux migratoires, d’endiguer l’afflux de clandestins, d’être intransigeants sur les visas. Pourtant, dans le même temps, elle accorde des privilèges insensés à ceux-là mêmes qui sont responsables de l’exode de milliers d’Algériens.
Quel est ce paradoxe insoutenable ? Pourquoi la France ferme-t-elle ses portes aux médecins, aux étudiants, aux travailleurs qualifiés algériens mais les ouvre-t-elle en grand aux despotes et aux bureaucrates qui étranglent leur propre peuple ? La réponse est évidente : ces dirigeants servent les intérêts de la France bien mieux qu’un peuple libre et émancipé ne le ferait.
Paris sait parfaitement que le maintien au pouvoir de la junte algérienne est une garantie de stabilité pour ses affaires. Une Algérie dirigée par un régime corrompu et obéissant, c’est un accès sécurisé aux hydrocarbures, des contrats juteux pour les multinationales françaises et une « coopération sécuritaire » qui permet à la France de garder un œil sur son ancienne colonie.
Mais ce jeu hypocrite ne pourra pas durer éternellement. L’Algérien d’aujourd’hui n’est plus dupe. Il voit, il comprend, il mesure l’ampleur de la trahison de ses dirigeants. Il sait que son oppression n’est pas seulement le fait de la junte, mais aussi de ses complices occidentaux.
Vers une révolte inévitable ?
Jusqu’à quand cette mascarade continuera-t-elle ? Jusqu’à quand le peuple algérien acceptera-t-il de voir ses oppresseurs jouir de privilèges dont lui-même est exclu ? Jusqu’à quand tolérera-t-il que ceux qui pillent son pays puissent aller tranquillement dépenser leur butin en France, pendant que lui se noie en mer ou croupit dans la misère ?
Les signes d’une colère latente sont là. L’illusion du mythe post-colonial s’effrite. Le discours de la victimisation historique ne suffit plus à masquer la corruption et l’injustice d’un régime qui n’a plus d’autre ambition que sa propre survie. L’Algérien moyen sait qu’il est pris au piège entre une dictature domestique et une complaisance étrangère. Mais l’histoire a prouvé que les peuples finissent toujours par se libérer de leurs bourreaux.
Les accords de 2007, 2013 et le décret de 2023 ne sont pas de simples documents administratifs. Ce sont les preuves tangibles d’un mépris institutionnalisé, d’une trahison systémique, d’un pacte contre le peuple algérien. Un jour viendra où ces privilèges honteux seront abolis, où les exilés de luxe n’auront plus d’asile doré, où la France ne pourra plus servir de refuge à ceux qui ont volé et trahi leur propre nation. Ce jour-là, la véritable histoire s’écrira, et elle ne sera pas tendre avec les complices de l’oppression.
Khaled Boulaziz