Le pipeline Maghreb-Europe (MGE), reliant l’Algérie à l’Espagne via le Maroc, est aujourd’hui à l’arrêt, illustrant le paroxysme de la rivalité entre la caste militaire algérienne et le régime despotique alaouite. Cette décision de l’Algérie de ne pas renouveler le contrat de transit avec le Maroc, effective depuis le 1er novembre 2021, traduit bien plus qu’un simple différend énergétique : elle s’inscrit dans une dynamique de confrontation stratégique entre deux régimes autoritaires, chacun tentant d’affirmer sa prééminence régionale au détriment de l’autre.
L’énergie, arme de la politique régionale
L’Algérie, forte de ses réserves en hydrocarbures, s’est toujours positionnée comme un acteur majeur de l’approvisionnement européen en gaz. Sa stratégie, dictée par la caste militaire au pouvoir, vise à contrôler les flux énergétiques pour étendre son influence diplomatique et économique. En cessant d’acheminer du gaz via le Maroc, Alger cherche à sanctionner Rabat pour son alignement sur des puissances hostiles à ses intérêts, notamment Israël et l’Iran, tout en consolidant ses partenariats directs avec l’Espagne et l’Italie.
Cette décision rappelle les tensions russo-ukrainiennes autour du gaz, mais l’Algérie a déjà prévu son repli avec le gazoduc Medgaz, reliant directement l’Algérie à l’Espagne. Toutefois, cette alternative ne permet pas de compenser complètement la perte de capacité du MGE, rendant l’approvisionnement de l’Espagne et du Portugal plus complexe et coûteux. L’impact économique est estimé à 4 milliards de dollars pour l’Espagne et 2,2 milliards pour le Portugal.
De son côté, le Maroc, privé des 800 millions de mètres cubes qu’il percevait sous forme de droits de transit, doit désormais trouver d’autres sources d’énergie. Il a demandé à l’Espagne d’établir un système de flux inversé sur le MGE, une solution coûteuse et techniquement complexe. En attendant, Rabat doit augmenter la production de ses centrales à charbon et intensifier ses importations d’électricité espagnole.
Une hostilité enracinée
Le conflit entre Alger et Rabat trouve ses racines dans une rivalité qui remonte à l’indépendance de l’Algérie en 1962. La question du Sahara occidental est au cœur de cette animosité. En juillet 2021, le Maroc a réaffirmé son soutien à l’autodétermination de la Kabylie, une provocation à laquelle Alger a répondu en rompant ses relations diplomatiques avec Rabat.
Le soutien d’Israël au Maroc, confirmé par la visite du ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid en août 2021, a accentué la méfiance algérienne. Alger considère ce rapprochement comme une menace directe, d’autant que Rabat a récemment intensifié ses pressions diplomatiques contre l’Algérie au sein des instances internationales.
L’incapacité des deux pays à coopérer économiquement a entraîné des pertes colossales pour la région. L’Union européenne estime que la fermeture des frontières et l’absence d’intégration économique entre les pays du Maghreb font perdre à la région au moins 2 points de croissance annuelle, limitant les investissements étrangers et exacerbant le chômage.
L’Europe, spectatrice impuissante
L’UE, dépendante du gaz algérien, n’a jamais su imposer une stratégie cohérente pour stabiliser la région. Contrairement à l’Allemagne qui a intégré l’Europe de l’Est à son industrie, la France a maintenu une relation purement mercantiliste avec le Maghreb, freinant tout véritable projet d’intégration régionale. L’absence d’une politique industrielle commune a empêché la région de développer un complexe pétrochimique maghrébin, privant l’Algérie et le Maroc d’un levier de croissance majeur.
En dépit de ses richesses naturelles, l’Algérie reste économiquement vulnérable. Sonatrach, jadis fleuron national, est affaiblie par les scandales de corruption et l’incompétence de la gestion étatique. Bien que la compagnie ait cessé d’importer du diesel et de l’essence en 2020, ses investissements demeurent insuffisants pour moderniser le secteur.
La fermeture du MGE illustre le découplage progressif du Maghreb avec l’Europe. Le Maroc, sous Mohammed VI, se tourne vers l’Afrique de l’Ouest et cherche à s’insérer dans de nouvelles alliances internationales, tandis que l’Algérie, contrôlée par son état-major, peine à diversifier son économie. La Russie et la Chine profitent de ce vide en renforçant leur présence militaire et économique dans la région.
Une impasse durable
L’affrontement entre Alger et Rabat va au-delà du gaz. Il traduit l’incapacité des régimes en place à concevoir une politique économique commune bénéfique aux populations. La caste militaire algérienne, obnubilée par la préservation de son pouvoir, et la monarchie marocaine, soucieuse de sa légitimité, poursuivent une politique d’affrontement qui pénalise l’ensemble du Maghreb.
Dans ce contexte, la fracture entre les deux pays ne fera que s’aggraver, renforçant l’instabilité régionale et limitant toute perspective de développement. Tant que l’Algérie et le Maroc resteront prisonniers de leur logique de confrontation, les opportunités économiques du Maghreb resteront inexploitées, au profit de puissances extérieures mieux organisées et plus stratégiques dans leur vision de l’avenir.
Khaled Boulaziz