L’Algérie sous surveillance : Le panoptique d’un régime militaro-sécuritaire

Le panoptique doit être compris comme un échafaudage politique de la technologie du pouvoir, son essence est de faire en sorte que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action.

Michel Foucault, Philosophe Français

Depuis l’indépendance en 1962, l’Algérie est dominée par une caste militariste qui s’est imposée comme l’architecte et le gardien du pouvoir. Cette oligarchie, issue des luttes internes qui ont marqué le Front de Libération Nationale (FLN) durant la guerre de libération, a progressivement érigé un système autoritaire où l’armée et les services de renseignement détiennent les rênes du pays. Cet ancrage militaro-sécuritaire, souvent appelé « le pouvoir » dans le langage populaire, s’est maintenu en étouffant toute forme de dissidence et en instaurant un climat de peur et de répression. En cela, l’Algérie contemporaine peut être interprétée à travers le concept de panoptique, développé par Jeremy Bentham et analysé par Michel Foucault, pour expliquer les dynamiques de surveillance et de contrôle social. (1)

L’architecture panoptique du pouvoir algérien

Le panoptique de Bentham, structure hégémonique permettant une surveillance constante, trouve son équivalent dans l’organisation militaro-sécuritaire algérienne. La police politique et ses annexes, jouent le rôle de la tour centrale : invisibles mais omniprésentes. Elle surveille chaque aspect de la vie publique et privée, des médias aux réseaux sociaux, en passant par les mouvements citoyens. Cette omniprésence engendre un climat d’incertitude où les citoyens, incapables de déterminer quand et par qui ils sont surveillés, adoptent une autocensure systématique.

La peur et l’autodiscipline : les piliers de la répression

Foucault souligne que l’effet le plus puissant du panoptique est l’intériorisation de la discipline par les individus eux-mêmes. En Algérie, cette logique se traduit par la peur d’exprimer publiquement des critiques à l’égard du régime. La prison est devenue un outil central du système répressif, où journalistes, activistes et opposants politiques sont systématiquement arrêtés sur des accusations fallacieuses, souvent basées sur des lois anti-terroristes. Cette stratégie vise non seulement à punir, mais aussi à dissuader toute contestation.

Une société sous contrôle

Les institutions algériennes fonctionnent comme des relais du système panoptique. Les écoles, les mosquées, les entreprises et les lieux pubiques participent à une surveillance diffuse. Les structures sécuritaires, essentiellement sur les réseaux sociaux, surveillent et rapportent les comportements des individus, renforçant l’idée que tout citoyen peut être à tout moment un agent du contrôle social.

La « décennie noire » : un tournant dans la consolidation du panoptisme

La guerre civile algérienne des années 1990 représente un point culminant de l’état panoptique. L’annulation des élections de 1991, remportées par le Front Islamique du Salut (FIS), a précipité une décennie de violences qui a fait plus de 250 000 morts et des milliers de disparus. Sous couvert de « lutte contre le terrorisme », la caste militariste a renforcé son emprise, utilisant la répression brutale pour éradiquer toute opposition. Les massacres, tortures et disparitions forcées orchestrés par les forces de sécurité ont laissé des cicatrices profondes dans la société algérienne, tout en consolidant le monopole de la caste militariste sur le pouvoir.

Les conséquences du panoptisme sur la jeunesse algérienne

Aujourd’hui, les Algériens sont confrontés à une triple impasse : la prison, la drogue ou l’exil. La toxicomanie dans les quartiers populaires est souvent tolérée, voire instrumentalisée, pour neutraliser une partie de la jeunesse. Par ailleurs, l’émigration de masse illustre le désespoir général. Les « bateaux de la mort », chargés de harragas (migrants clandestins), symbolisent une jeunesse qui choisit l’exil au lieu de subir un système oppressif.

L’émergence du Hirak : un espoir fragile

Malgré ce système de surveillance omniprésente, des mouvements de résistance comme le Hirak, né en 2019, montrent que la population aspire à un changement profond. Ce mouvement pacifique et inclusif a réuni des millions de citoyens réclamant une rupture avec le système militaro-sécuritaire. Toutefois, face à cette mobilisation, le pouvoir a choisi de répondre par la répression, espérant étouffer l’élan populaire.

Conclusion

L’Algérie, vue à travers le prisme du panoptique, est une nation sous surveillance où la peur, l’autocensure et la répression sont les outils principaux du pouvoir. Mais l’histoire montre qu’aucun système fondé sur l’oppression ne peut indéfiniment réprimer les aspirations à la liberté et à la dignité. Le salut de l’Algérie repose sur une remise en question radicale de ce système autoritaire et sur l’émergence d’un projet national porté par le peuple, pour le peuple.

Khaled Boulaziz

(1) https://www.amazon.fr/Surveiller-punir-Naissance-Michel-Foucault/dp/2070291790