Ali Shariati, l’idéologue de la révolution iranienne et le Front de Libération National (F.L.N) algérien

Tout individu est responsable de la société dans laquelle il vit. Être indifférent, c’est être complice de l’oppression.

Ali Shariati, Intellectuel Iranien

Ali Shariati est l’une des figures les plus influentes du monde intellectuel et révolutionnaire du XXe siècle, tant en Iran que dans le monde musulman en général. Sociologue de formation et penseur islamique engagé, il a marqué son époque par sa capacité à fusionner des idées religieuses traditionnelles avec des concepts modernes de justice sociale et d’anticolonialisme. Il est souvent considéré comme l’idéologue de la Révolution iranienne, ayant joué un rôle majeur dans la formation de la pensée islamique moderne, en particulier dans le contexte de la Révolution iranienne de 1979. Shariati a su mobiliser les jeunes et les intellectuels autour de l’idée que l’Islam pouvait et devait être une force motrice pour la transformation sociale et politique.

En s’inspirant de la philosophie occidentale, du marxisme et de l’existentialisme, tout en restant profondément attaché aux racines islamiques, Shariati a offert une vision unique d’une société où la justice, l’égalité et la liberté étaient ancrées dans les principes islamiques. Cette approche singulière lui a permis de devenir un acteur clé de la résistance contre l’impérialisme occidental et les régimes autoritaires au Moyen-Orient. Son séjour à Paris dans les années 1950-1960, où il a été en contact avec divers mouvements intellectuels et anticoloniaux, a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de sa pensée. C’est notamment dans ce contexte qu’il a noué des liens avec le Front de Libération Nationale (FLN) algérien, dont la lutte pour l’indépendance a fortement influencé sa conception du rôle de l’Islam dans les mouvements de libération.

Il meurt en 1977 à Londres dans des circonstances troubles, soit deux ans avant la chute du Shah, alimentant des spéculations sur une possible implication du régime iranien dans sa disparition.

Le séjour d’Ali Shariati à Paris à la fin des années 1950 et au début des années 1960 fut une période cruciale dans son développement intellectuel et politique. C’est à Paris que Shariati fut exposé à une large gamme d’idéologies politiques, y compris le socialisme, l’existentialisme et les mouvements anticoloniaux. Cet environnement, et en particulier la lutte du Front de Libération Nationale (FLN) algérien contre la domination coloniale française, a profondément influencé sa réflexion sur la révolution, la libération et le rôle de l’Islam dans la résistance anticoloniale.

Le séjour de Shariati à Paris et son interaction avec le FLN

Shariati est arrivé à Paris en 1959 pour poursuivre un doctorat en sociologie à la Sorbonne. À cette époque, la ville était un centre d’activité intellectuelle et politique, et de nombreux mouvements anticoloniaux, y compris le FLN algérien, y étaient fortement présents. Le FLN menait une lutte brutale pour l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France, une lutte qui avait commencé en 1954 et aboutirait à l’indépendance de l’Algérie en 1962.

L’implication de Shariati avec le FLN

Pendant son séjour à Paris, Shariati s’est activement impliqué avec le FLN. Il soutenait leur cause et a même rejoint leurs efforts en traduisant des documents et des propagandes du FLN en persan afin de sensibiliser les intellectuels et les militants iraniens à la lutte algérienne. Sa participation aux travaux du FLN lui a donné une expérience directe d’un mouvement révolutionnaire profondément influencé par un mélange de nationalisme, de marxisme et d’Islam. Cette exposition allait façonner plus tard sa réflexion sur le rôle de la religion dans les luttes politiques, en particulier sur la manière dont l’Islam pouvait être utilisé comme un outil de mobilisation et de résistance contre l’oppression.

La connexion de Shariati avec le FLN a également renforcé sa position anticoloniale. Il voyait la lutte algérienne pour l’indépendance comme faisant partie d’une lutte plus large contre l’impérialisme occidental, une lutte qui résonnait profondément avec ses propres préoccupations concernant la subjugation de l’Iran sous l’influence des puissances occidentales et du régime autoritaire du Shah.

L’influence de la lutte algérienne sur la pensée de Shariati

La guerre d’indépendance algérienne a eu un impact durable sur le cadre intellectuel de Shariati. Les éléments clés de la stratégie et de la philosophie du FLN apparaîtraient plus tard dans ses propres écrits et discours, notamment l’idée d’utiliser la culture et l’idéologie comme armes contre les puissances coloniales. Le FLN a réussi à fusionner le nationalisme avec une identité islamique, montrant à Shariati comment la religion pouvait servir de puissant facteur de mobilisation pour les masses dans une lutte de libération.

Quelques influences clés du FLN sur Shariati comprennent :

  1. L’Islam révolutionnaire : La capacité du FLN à s’appuyer sur l’Islam pour unir les différentes factions de la société algérienne dans la lutte contre le colonialisme français a impressionné Shariati. Il a commencé à voir l’Islam non seulement comme une foi personnelle, mais comme une idéologie révolutionnaire pouvant mobiliser les opprimés, ce qu’il a ensuite formulé dans son concept du « chiisme rouge. »
  2. Le rôle de l’intellectuel dans la révolution : Les dirigeants intellectuels du FLN, qui ont joué un rôle crucial dans la formation du cadre idéologique de la lutte algérienne, ont reflété la propre croyance de Shariati selon laquelle les intellectuels (qu’il appelait les « Rushanfekr ») devaient guider et éduquer les masses dans les mouvements révolutionnaires. Shariati voyait cela comme un modèle pour la manière dont les intellectuels iraniens pouvaient inspirer une révolution islamique contre le régime du Shah.
  3. L’anticolonialisme et la solidarité tiers-mondiste : L’expérience de Shariati avec le FLN a renforcé sa vision selon laquelle les luttes des nations musulmanes comme l’Algérie et l’Iran faisaient partie d’un combat global plus large contre l’impérialisme occidental. Il s’est fortement identifié aux mouvements du Tiers Monde et a cherché à positionner le potentiel révolutionnaire de l’Iran dans ce contexte anticolonial plus large.

L’indépendance algérienne et le retour de Shariati en Iran

Le succès du FLN algérien dans l’obtention de l’indépendance en 1962 a démontré le pouvoir d’un mouvement anticolonial bien organisé, ce qui a encore convaincu Shariati du potentiel de changement révolutionnaire en Iran. Il est retourné en Iran au milieu des années 1960 avec une vision révolutionnaire profondément façonnée par le triomphe du FLN et les stratégies qu’il avait observées à Paris. À son retour, Shariati a commencé à donner des conférences et à écrire abondamment, encourageant la jeunesse iranienne à voir l’Islam comme une voie vers la libération personnelle et sociale, de la même manière que le FLN avait utilisé l’Islam comme point de ralliement pour l’indépendance algérienne.

En résumé, l’interaction de Shariati avec le FLN et son immersion dans le climat intellectuel parisien ont été formatrices dans le développement de ses idées sur l’intersection entre l’Islam, l’anticolonialisme et la révolution. La lutte algérienne pour l’indépendance est devenue un modèle pour sa vision d’une révolution islamique en Iran, et ses expériences au cours de cette période ont profondément influencé son travail ultérieur en tant que penseur et activiste.

Khaled Boulaziz