À l’aurore de l’histoire, l’Orient a inventé l’État et il en a confié les recettes à l’Islam: ses administrateurs ont servi de cadres au califat. Mais de ce même Islam il a fait émerger une religion qui a donné à son peuple des ressources indéfinies pour résister au pouvoir de l’État. Dans cette volonté d’un gouvernement islamique, faut-il voir une réconciliation, une contradiction ou le seuil d’une nouveauté ?
Michel Foucault – Philosophe Français (1926-1984)
Le veto occidental des élections islamiques dans le monde arabe, particulièrement l’Algérie, l’Égypte et la Palestine (Hamas), est un phénomène chargé de résistances et d’interventions multiformes. Cet essai se propose d’élucider les raisons complexes qui sous-tendent cette politique à travers les prismes épistémiques de John Galtung, Steven Pinker, Michel Foucault et Edward Saïd. En plongeant dans l’interaction complexe de la violence, du pouvoir, des paradigmes culturels et de l’orientalisme, nous dévoilerons les motivations latentes et les implications profondes des actions occidentales dans ces géographies.
John Galtung : Violence structurelle et culturelle
Le concept théorique de violence structurelle et culturelle de John Galtung fournit un cadre essentiel pour décoder les interventions occidentales dans les élections islamiques. Galtung définit la violence structurelle comme la perpétuation systématique de torts et des désavantages à travers les structures sociales, tandis que la violence culturelle sanctifie la violence directe ou structurelle par le biais de normes et d’idéologies culturelles.
Violence structurelle dans le monde arabo-musulman
Les puissances occidentales, en particulier par leur soutien indéfectible aux régimes dictatoriaux dans le monde arabe, perpétuent cette violence structurelle. En soutenant des élites à la limite anti-nationales qui répriment les aspirations démocratiques et manipulent les résultats électoraux, les occidentaux maintiennent un statu quo qui empêche toute évolution démocratique authentique. Ce soutien est fréquemment rationalisé par des impératifs économiques, tels que la sécurisation des ressources énergétiques, et des impératifs stratégiques, incluant la préservation de l’hégémonie militaire.
Violence culturelle et islamophobie
La violence culturelle se manifeste à travers des discours islamophobes qui dépeignent les mouvements politiques islamiques comme intrinsèquement violents ou extrémistes. Ces narratifs, propagés par les médias, la rhétorique politique et les publications académiques biaisées, fournissent une justification culturelle pour subvertir les élections islamiques. La construction des mouvements islamiques comme antithétiques aux valeurs et à la sécurité occidentales légitime les interventions et la suppression des processus démocratiques prêts à porter l’Islam politique au pouvoir.
Steven Pinker : Le déclin de la violence et le rôle de la démocratie
Steven Pinker postule une diminution de longue durée de la violence, attribuée en partie à l’ascendance de la gouvernance démocratique et des institutions internationales. Cependant, Pinker concède que la trajectoire vers la démocratie est souvent jalonnée de conflits et de perturbations.
Théorie de la paix démocratique
La théorie de la paix démocratique, qui postule que les démocraties manifestent une propension réduite à se faire la guerre mutuellement, informe les politiques occidentales. La conviction que les États démocratiques sont des bastions de la paix mondiale sous-tend le soutien occidental aux processus démocratiques. Toutefois, lorsque les élections démocratiques annoncent l’ascendance de partis islamiques perçus comme hostiles aux intérêts occidentaux, une disjonction surgit entre le soutien théorique à la démocratie et les préoccupations pragmatiques de sécurité et de géopolitique.
Menaces perçues à la paix
L’intervention occidentale dans les élections islamiques est fréquemment perçue comme une mesure prophylactique contre une régression présumée dans la paix mondiale. La crainte que les partis islamiques puissent catalyser des entreprises extrémistes ou déstabiliser les équilibres régionaux précipite des actions préventives pour obvier à leur triomphe électoral. Ce paradoxe souligne l’application sélective des principes démocratiques fondée sur des exigences stratégiques.
Michel Foucault : pouvoir, savoir et discours
L’exégèse de Michel Foucault sur le pouvoir, le savoir et le discours fournit un appareil analytique indispensable pour scruter les mécanismes de contrôle occidentaux. Foucault soutient que le pouvoir s’exerce à travers la genèse et la diffusion du savoir, et que les discours délimitent les frontières de la véracité et de l’acceptabilité.
Discours du terrorisme
Le discours du terrorisme a émergé comme un instrument redoutable dans la sculpturation des politiques occidentales envers les élections islamiques. En construisant les mouvements politiques islamiques comme des menaces terroristes naissantes, les puissances occidentales justifient les interventions et le soutien aux mesures autoritaires. Ce discours transcende le simple descriptivisme, engendrant une réalité où les actions politiques sont façonnées et les résultats électoraux dans le monde arabe sont subjugués.
Biopolitique et contrôle
La notion de biopolitique de Foucault — la gouvernance des populations à travers la modulation de la vie et de la mort— trouve une résonance palpable dans l’approche occidentale des élections islamiques. En dictant quels mouvements politiques peuvent prospérer, les puissances occidentales exercent un contrôle biopolitique sur les populations de ces régions. Cette hégémonie imprègne les sphères économiques, sociale et politique, influençant indélébilement le tissu même des sociétés arabes.
Edward Saïd : L’Orientalisme et la représentation de l’autre
Le magnum opus d’Edward Saïd, L’Orientalisme, fournit un prisme critique par lequel interroger les perceptions et les politiques occidentales envers le monde islamique. Saïd soutient que la représentation occidentale de l’Orient est un récit fabriqué, servant à justifier l’hégémonie occidentale.
L’Orientalisme et les stéréotypes
Représentation de l’Islam et de la démocratie
Les récits occidentaux dépeignent fréquemment les sociétés islamiques comme intrinsèquement antithétiques aux principes démocratiques, incapables, immatures et non prêtes à se gouverner sans intervention occidentale. Cette perspective orientaliste délégitime les leaders politiques islamiques en les présentant comme discordants avec la modernité et l’Ethos démocratique. De tels récits culturels sous-tendent et légitiment les interventions occidentales visant à avorter les succès électoraux de ces partis.
L’Orientalisme comme violence culturelle
L’orientalisme de Saïd s’aligne sur la violence culturelle de Galtung. La construction occidentale du monde islamique comme l’Autre et inférieur justifie la violence structurelle et les interventions. Ces représentations sont enracinées dans les médias, la littérature et la doxa académique, perpétuant des stéréotypes qui facilitent la marginalisation et la domination des sociétés islamiques.
Études de cas : Algérie, Égypte et Palestine
Algérie (1991)
L’intervention dans les élections algériennes de 1991, où le Front islamique du salut (FIS) était sur le point de triompher, a culminé en un coup d’État militaire soutenu par l’Occident. Le spectre d’un État islamique antagoniste aux intérêts occidentaux et capable de perturber la stabilité régionale a précipité cette intervention, incarnant la violence structurelle de Galtung et le discours du terrorisme de Foucault.
Égypte (2013)
Le coup d’État militaire de 2013 en Égypte, qui a déposé le président démocratiquement élu Mohamed Morsi des Frères musulmans, a été soutenu par plusieurs nations occidentales. La disposition politique et idéologique des Frères musulmans était perçue comme une menace pour les autocraties alignées sur l’Occident dans la région, exemplifiant l’application sélective des principes démocratiques élucidés par Pinker et le contrôle biopolitique exposé par Foucault.
Palestine (2006)
Les élections palestiniennes de 2006 ont vu le Hamas obtenir un mandat électoral significatif, ce qui a conduit à des sanctions économiques et à l’isolement politique imposés par les puissances occidentales. La représentation du Hamas comme une entité terroriste, malgré sa légitimité électorale, exemplifie la violence culturelle et la manipulation discursive décrites par Galtung et Foucault. En outre, le soutien inébranlable de l’Occident aux actions de ‘l’entité sioniste contre le génocide en cours contre les Palestiniens souligne l’asymétrie dans l’application des principes démocratiques et des droits de l’homme. Ce soutien perçu comme injustifié exacerbe la violence structurelle et perpétue le cycle de conflit et d’instabilité.
Conclusion
La réponse occidentale aux élections islamiques dans le monde arabe peut être élucidée à travers la confluence de la violence structurelle et culturelle de Galtung ; des analyses empiriques de Pinker sur la violence et la démocratie, des discours de pouvoir et de biopolitique de Foucault et de l’orientalisme de Saïd. Ces interventions sont emblématiques d’une interaction complexe d’intérêts stratégiques, de biais culturels et de dynamiques de pouvoir, culminant dans la suppression des processus démocratiques perçus comme hostiles à l’ordre établi. Par conséquent, cela perpétue l’enracinement des castes militaires corrompues dirigeant les sociétés islamiques, soutenues par le patronage occidental, empêchant ainsi l’évolution démocratique authentique de ces régions.
Seul un réveil décisif des élites de ces pays pourra contraindre le monde occidental à respecter les choix souverains des peuples quant aux leaders destinés à guider leur avenir. Ce sursaut implique une prise de conscience et une action concertée visant à affirmer leur autonomie et à protéger leur droit à l’autodétermination. Par une telle mobilisation, ces élites peuvent influencer les politiques internationales et exiger une reconnaissance et un respect authentiques des décisions démocratiques prises par leurs citoyens.
Khaled Boulaziz