La saignée intellectuelle : Razzia sur les bacheliers et étudiants algériens

Nous avons dû arracher chaque parcelle de vérité par un effort acharné, sacrifiant tout ce qui nous était cher, tout ce qui réchauffait notre cœur et nourrissait notre confiance en la vie. Il faut une grandeur d’âme exceptionnelle : servir la vérité est le service le plus ardu. Qu’est-ce que cela signifie, être loyal dans les domaines de l’esprit ? C’est être impitoyable envers soi-même, mépriser les nobles sentiments, et traiter chaque question comme un cas de conscience.

F. Nietzsche, Philosophe Allemand

Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie est gouvernée par une élite militaire qui exerce un contrôle quasi total sur les cadres politiques et sociaux de la nation. Cette caste militaire domine non seulement l’appareil d’État, mais intègre également systématiquement les esprits les plus brillants de la société civile, privant ainsi la nation de son élite intellectuelle (1). Une approche critique des relations de pouvoir offre une lentille analytique à travers laquelle nous pouvons scruter comment cette domination militaire perpétue la stagnation et l’asservissement sociétaux.

Contexte historique et dynamiques de pouvoir

Après la lutte ardue pour l’indépendance de la France, l’Algérie est rapidement passée à un état autoritaire sous la direction de Houari Boumédiène. L’établissement militaire s’est enraciné comme autorité centrale, exerçant son influence profonde dans la gouvernance et la psyché sociétale. Cette consolidation du pouvoir s’est étendue au-delà de la simple domination politique, infiltrant le tissu social et façonnant la conscience collective pour normaliser l’hégémonie militaire.

Chaque année, l’armée algérienne recrute les meilleurs bacheliers et étudiants de la nation, les orientant vers diverses spécialisations militaires.

Cette pratique sert plusieurs objectifs stratégiques :

1. Contrôle du capital intellectuel : En absorbant les esprits les plus brillants, l’armée s’assure que les leaders et innovateurs potentiels restent dans ses rangs, empêchant ainsi l’émergence d’une élite civile capable de défier son autorité.

2. Perpétuation des structures de pouvoir : Cette stratégie renforce d’autre part le contrôle de l’armée aux dépens du développement national avec des avancées technologiques issues de planifications stratégiques réfléchies.

Pouvoir diffus et asservissement sociétaux

Le concept de pouvoir diffus implique des formes de contrôle subtiles et omniprésentes qui s’étendent au-delà des institutions formelles. Le pouvoir n’est pas seulement détenu par un groupe dominant, mais est dispersé à travers les normes, pratiques et institutions sociétales. Dans le contexte algérien, le contrôle de l’armée opère non seulement de manière flagrante, mais aussi à travers des mécanismes sociétaux implicites qui façonnent les comportements et les croyances.

1. Fuite des cerveaux et stagnation intellectuelle : Le recrutement systématique des meilleurs étudiants par l’armée et la fuite des cerveaux empêchent d’une façon significative émergence d’une élite civile. Les personnes les plus brillantes, qui pourraient stimuler l’innovation et le progrès dans divers domaines, sont utilisés à des fins militaires, étouffant la croissance intellectuelle et économique de la société civile. Ceux qui refusent cette voie n’ont d’autres choix que l’exil.

2. Manque d’opportunités civiles : Avec des opportunités limitées en dehors de l’armée, de nombreux individus talentueux rejoignent l’armée ou émigrent. Cette dichotomie renforce la dominance militaire et prive la société civile de ses éléments les plus talentueux

3. Impact psychologique : Le contrôle omniprésent exercé par l’armée favorise une culture de conformité et de résignation. La société civile devient habituée à la subordination, inhibant la pensée critique et la participation active à la vie civique.

Mécanismes de contrôle

Dès leur plus jeune âge, les étudiants algériens sont soumis à un système éducatif qui promeut subtilement les valeurs et les carrières militaires. Cette forme d’endoctrinement assure un approvisionnement constant de recrues et perpétue l’acceptation de la domination militaire comme norme sociétale.

Le contrôle par l’armée de ressources économiques significatives consolide davantage son pouvoir. En monopolisant les emplois lucratifs et les opportunités d’emploi, l’armée crée un environnement où la survie économique nécessite souvent un alignement avec les intérêts militaires.

Conclusion

La caste militaire en Algérie emploie une stratégie multifacette pour maintenir sa domination, s’appuyant fortement sur des mécanismes de pouvoir diffus. En recrutant les meilleurs esprits de la nation et en les intégrant dans sa structure, l’armée renforce non seulement sa propre capacité, mais assure également l’asservissement continue de la société civile.

Cette dynamique perpétue un cycle de stagnation intellectuelle et de conformité sociétale, entravant le potentiel de l’Algérie pour un développement démocratique véritable et un avancement sociétal.
Jamais ce dicton n’a été aussi vrai : Toutes les nations ont des armées, l’armée algérienne a une nation.

Khaled Boulaziz


1.https://www.mdn.dz/site_principal/sommaire/recrutement/recrutement_fr.php