L’argent : le nerf de la dictature en Algérie
L’Algérie, riche en hydrocarbures, adopte une stratégie d’exploitation intensive de ses ressources énergétiques. En paraphrasant le dicton « l’argent est le nerf de la guerre », il est tout aussi pertinent de dire que « l’argent est le nerf de la dictature ». Cette analyse critique explore la relation entre les structures économiques et le maintien du pouvoir en Algérie.
Contexte historique et économique
Depuis l’indépendance en 1962, l’Algérie est dominée par une élite militaro-bureaucratique qui a su conserver sa mainmise sur les ressources économiques du pays. Les hydrocarbures, principale source de devises, sont au cœur de cette dynamique. Le gouvernement prévoit de nouveaux cycles d’attribution de licences d’exploration de pétrole et de gaz pour la fin de l’année 2024, attirant des géants tels qu’Exxon Mobil, Chevron, ENI, et Sinopec.
Cette politique visant à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures a pour but de renforcer les capacités de production et d’exportation de l’Algérie. Cependant, il est crucial de comprendre les implications plus larges de cette approche et comment elle s’inscrit dans la gestion économique et politique du pays.
Les investissements stratégiques et leurs conséquences
Le plan d’investissement massif dans les hydrocarbures suscite des questions sur la capacité nationale à mener de telles opérations sans dépendre de l’expertise étrangère. L’appel constant aux multinationales pour l’exploration et la production, bien que justifiable par le manque de compétences locales, révèle une problématique plus profonde.
Depuis 1962, la caste militariste algérienne a systématiquement sollicité les sociétés étrangères pour l’exploration et la production des ressources énergétiques, entravant délibérément le développement des compétences locales. Cette approche a empêché la formation d’une classe d’entrepreneurs algériens capables de rivaliser sur le plan économique. Les compétences nationales, qui auraient pu se développer et exploiter les ressources énergétiques sans l’aide des entreprises internationales, sont intentionnellement marginalisées.
Une caste réfractaire à l’émergence de compétences locales
Le choix de privilégier les entreprises étrangères permet à l’élite au pouvoir de conserver un contrôle strict sur le développement économique. Cette marginalisation des compétences locales empêche l’émergence d’une classe d’entrepreneurs nationaux qui pourraient, en s’affirmant économiquement, revendiquer des changements politiques menaçant la domination des militaires.
En empêchant l’émergence d’une classe d’entrepreneurs et de techniciens algériens compétents dans le secteur des hydrocarbures, le régime militaire protège son hégémonie. La dépendance technologique et économique à l’égard des multinationales étrangères garantit que le pouvoir reste centralisé et contrôlé par une élite restreinte, empêchant ainsi toute contestation interne significative.
Contrôle économique et maintien du pouvoir
Le pouvoir en place utilise les structures économiques pour maintenir une société disciplinée et contrôlée. En faisant appel à des entreprises étrangères, il crée une dépendance technologique et économique qui marginalise les compétences locales et renforce la centralisation autoritaire. Cette stratégie permet également de maintenir une certaine opacité dans la gestion des ressources et des revenus, ce qui profite à l’élite militaire et bureaucratique.
En monopolisant les opportunités économiques, l’élite militaro-bureaucratique empêche la formation d’un contre-pouvoir capable de défier son autorité. L’absence d’une classe bourgeoise nationale capable de rivaliser économiquement avec l’État maintient l’hégémonie de l’élite militaire. Cette situation conduit à un cercle vicieux où la dépendance aux entreprises étrangères freine le développement des compétences locales, renforçant ainsi le pouvoir de l’élite en place.
Conséquences pour l’économie et la société algérienne
Les efforts pour doubler la production de gaz d’ici cinq ans, afin de répondre à la demande croissante et de maintenir les parts de marché à l’exportation, s’inscrivent dans une logique d’accumulation du capital qui consolide le pouvoir de l’élite en place. Cette stratégie, tout en répondant à des impératifs économiques, maintient le statu quo politique en empêchant l’émergence de forces économiques indépendantes.
La marginalisation des compétences locales dans le secteur des hydrocarbures a des conséquences graves pour l’économie et la société algérienne. Elle prive le pays d’une expertise nationale qui pourrait non seulement créer des emplois et des opportunités économiques, mais aussi promouvoir une gestion plus transparente et efficace des ressources. De plus, elle renforce la dépendance aux fluctuations des marchés internationaux et aux décisions des entreprises étrangères, limitant ainsi la souveraineté économique de l’Algérie.
Un programme d’investissement qui cache des enjeux politiques
Un programme d’investissement massif a été tracé pour développer le secteur énergétique. Ces investissements visent à moderniser les infrastructures et à augmenter la production de pétrole et de gaz. Cependant, derrière ces initiatives se cachent des enjeux politiques importants. En contrôlant les ressources énergétiques, l’élite militariste assure son pouvoir et sa domination.
L’appel constant aux entreprises étrangères pour exploiter ces ressources est une stratégie délibérée pour empêcher l’émergence d’une classe d’entrepreneurs locaux. Ces derniers pourraient revendiquer plus de pouvoir et de transparence, menaçant ainsi l’hégémonie de l’élite au pouvoir. La dépendance à l’égard des multinationales assure également une certaine stabilité économique à court terme, tout en maintenant l’élite au sommet de la hiérarchie politique et économique.
Une gestion centralisée et opaque
La gestion des ressources énergétiques en Algérie est caractérisée par une centralisation et une opacité qui bénéficient à l’élite militariste. Cette gestion permet de contrôler les flux financiers et d’assurer que les bénéfices de l’exploitation des ressources ne soient pas redistribués de manière équitable. Cela renforce les inégalités économiques et sociales et maintient une large partie de la population dans une situation de dépendance.
La dépendance à l’égard des multinationales est également une manière de maintenir une certaine opacité sur les contrats et les revenus générés par les ressources énergétiques. Cette opacité empêche la société civile et les autres acteurs économiques de demander des comptes et de revendiquer une gestion plus transparente et équitable.
La double facette de l’investissement étranger
L’investissement étranger dans le secteur des hydrocarbures est souvent présenté comme une opportunité de développement économique pour l’Algérie. Cependant, il a une double facette. D’un côté, il permet d’attirer des capitaux et des technologies avancées, nécessaires pour exploiter les ressources de manière efficace. De l’autre côté, il renforce la dépendance économique et technologique du pays à l’égard des multinationales et des puissances étrangères.
Cette dépendance est un outil de contrôle pour l’élite militariste. En empêchant le développement de compétences locales, elle assure que le pouvoir reste concentré entre les mains d’une petite élite. Cette stratégie empêche également l’émergence d’une classe moyenne entrepreneuriale qui pourrait revendiquer des réformes politiques et économiques.
Un modèle de développement économique contradictoire
La stratégie économique de l’Algérie, centrée sur l’exploitation des hydrocarbures, est contradictoire. D’un côté, le gouvernement cherche à diversifier l’économie en développant d’autres secteurs comme l’agriculture, l’industrie, le tourisme et l’extraction minière. De l’autre côté, il continue de dépendre fortement des revenus générés par le pétrole et le gaz.
Cette contradiction est symptomatique d’un modèle de développement économique qui vise avant tout à maintenir le pouvoir de l’élite militariste. La diversification économique, bien que nécessaire pour assurer un développement durable, est reléguée au second plan par rapport à l’exploitation des ressources énergétiques. Cette stratégie permet de maintenir un flux de revenus stable, mais elle ne prépare pas l’Algérie à faire face aux défis économiques et sociaux de l’avenir.
Les risques de la dépendance aux hydrocarbures
La dépendance aux hydrocarbures comporte des risques importants pour l’économie algérienne. Les fluctuations des prix du pétrole et du gaz sur les marchés internationaux peuvent avoir des effets dévastateurs sur les finances publiques et l’économie du pays. De plus, la sur-exploitation des ressources naturelles pose des problèmes environnementaux graves qui peuvent affecter la santé publique et le bien-être des populations.
En continuant de dépendre des hydrocarbures, l’Algérie se prive également des opportunités offertes par les énergies renouvelables et les technologies vertes. Ces secteurs pourraient non seulement diversifier l’économie, mais aussi créer des emplois et des opportunités pour les jeunes générations. Cependant, la transition vers une économie plus durable nécessite des investissements et des réformes structurelles que l’élite militariste semble réticente à entreprendre.
Conclusion : le cercle vicieux de la dépendance
L’Algérie, en renforçant ses capacités de production et d’exportation de pétrole et de gaz, poursuit une politique qui, bien que bénéfique à court terme, perpétue une dépendance aux multinationales et freine le développement de compétences locales. Ce choix révèle une stratégie de maintien du pouvoir par la maîtrise des ressources économiques et la marginalisation des forces économiques émergentes.
Ainsi, l’argent, en tant que nerf de la dictature, devient un instrument de contrôle et de perpétuation d’un ordre établi, où les aspirations démocratiques et l’autonomie économique sont systématiquement entravées par des choix politiques et économiques délibérés. La marginalisation des compétences locales est un
danger mortel pour la caste militariste, car elle empêche l’émergence d’une classe d’entrepreneurs capable de contester leur pouvoir. Le cercle vicieux de la dépendance continue de renforcer l’hégémonie de l’élite au détriment du développement économique et social du pays.
Khaled Boulaziz