Pouvoir et savoir historique : une relecture des conflits arabes

Ce n’est pas le pouvoir, mais la lutte pour le pouvoir qui produit le savoir.

Michel Foucault – Philosophe Français – (1926-1984)

Les conflits contemporains dans le monde arabe se distinguent par la diversité de leurs racines idéologiques. Religion, secte, perceptions raciales, supériorité culturelle et modes de vie sont autant de facteurs déclencheurs d’explosions sociales aux causes multiples. Toutefois, ces racines idéologiques se rattachent toutes à un récit historique fondateur, en particulier à une histoire moderne et contemporaine où s’insèrent les croyances religieuses, raciales et culturelles. Le point de départ de ce récit varie selon l’idéologie des acteurs : la colonisation occidentale, le déclin de l’Empire ottoman, l’abolition du califat, les indépendances arabes, les coups d’État militaires, etc.

Pouvoir, savoir et récit historique

Selon Michel Foucault, le pouvoir et le savoir sont inextricablement liés ; chaque société produit des discours de vérité conformes à ses structures de pouvoir. Le récit historique fondateur joue un rôle crucial dans la modernité et la formation des États-nations, car il offre des réponses aux questions sur l’identité, les frontières, l’histoire et les distinctions entre amis et ennemis. Ce récit devient alors un mythe fondateur de la souveraineté laïcisée, structuré par des institutions et non par des croyances religieuses. Ce mythe fournit un cadre normatif qui définit les réponses acceptables aux questions sur l’identité nationale.

Les acteurs du récit historique

Les récits historiques ne sont pas seulement produits par des historiens, mais aussi par des idéologues, politiciens et écrivains. Dans le contexte arabe, des figures telles que Rifa’a al-Tahtawi, Shakib Arslan, Michel Aflaq et Sayyid Qutb ont façonné ces récits. Les spécialistes opèrent souvent dans le cadre de récits nationalistes dominants, et les tentatives de révision historiographique, bien que rares, cherchent à produire des récits plus scientifiques, mais restent imprégnées d’objectifs idéologiques et sociaux.

Révisionnisme et conflits historiographiques

Le révisionnisme historiographique est une pratique controversée. Jürgen Habermas, par exemple, a critiqué les révisionnistes allemands qui tentaient de recontextualiser l’Holocauste, y voyant une tentative de déresponsabilisation nationale. Pour Habermas, l’historiographie doit maintenir une perspective critique qui nourrit un patriotisme constitutionnel inclusif et pluraliste. En Israël, les nouveaux historiens ont adopté une approche révisionniste en intégrant les souffrances palestiniennes dans le récit juif, cherchant ainsi à réexaminer les fondements nationalistes israéliens.

L’absence de révisionnisme arabe

Dans le monde arabe, les tentatives de révision historiographique sérieuses sont rares. Les récits dominants restent inchangés, renforçant les notions de nationalisme et de lutte contre l’Occident. Les historiens comme Khaled Fahmy, qui appliquent des méthodes classiques d’étude de la modernisation, n’ont pas encore profondément critiqué les mythes fondateurs de l’État égyptien et leur influence sur la conscience idéologique actuelle. Le révisionnisme sérieux pourrait être perçu comme une attaque contre les valeurs de religion, de nationalisme et de patriotisme, mais il est essentiel pour réévaluer les fondements de l’identité politique arabe.

Le cas de l’Algérie et la révolution sacralisée

L’Algérie offre un exemple poignant de la sacralisation d’un récit historique fondateur : la Révolution algérienne. Considérée comme un pilier de l’identité nationale et de la fierté patriotique, cette révolution contre la colonisation française est entourée d’une aura quasi sacrée. Cependant, pour comprendre pleinement les dynamiques actuelles de la société algérienne et les défis auxquels elle est confrontée, il est nécessaire de dépassionner ce récit. Une grille de lecture critique permettrait d’examiner la Révolution algérienne non seulement comme un événement héroïque, mais aussi comme un processus complexe, marqué par des luttes internes, des intérêts divers et des conséquences politiques et sociales variées. Cela ne diminuerait en rien l’importance historique de la révolution, mais offrirait une perspective plus nuancée et réaliste, essentielle pour une réflexion critique sur l’identité nationale et les structures de pouvoir en Algérie.

Conclusion

Un révisionnisme radical pourrait ouvrir de nouvelles perspectives sur les concepts de religion, de nation et de libération dans le monde arabe, les libérant des cadres rigides qui ont conduit à des défaites historiques. Ce n’est pas la haine de soi qui est en jeu, mais la reconnaissance que les conceptions actuelles de l’identité ne doivent pas être figées et victimisées. Pour véritablement contester l’autoritarisme et l’occupation, il est crucial de reconsidérer et de réviser nos récits historiques fondateurs avec une perspective critique.