L’unité nationale fut imposée par la force. Il y eut, dès la conquête, un parti français favorable à la colonisation. Le nationalisme algérien, qui n’a trouvé son unité qu’après 1962, s’est imposé par la guerre civile. L’élite sociale et politique a dû composer avec la mentalité militariste.
Mohammed Harbi – Historien Algérien
Mobilisation politique dans la colonie
En 1830, la France a envahi l’Algérie, et en 1871, ses forces avaient finalement subjugué tout le pays. La France a repoussé les Algériens des meilleures terres, a installé des centaines de milliers d’Européens, et a pris le contrôle de la vie politique, économique et religieuse. Les perturbations subies par la société indigène ont été profondes.
À la fin des années 1920, le nationalisme algérien s’exprimait à travers trois courants principaux : (1) une tendance populiste avec des connotations vaguement islamiques, identifiée à Messali Hadj ; (2) une tendance francophile-libérale, dirigée par Ferhat Abbas ; et (3) une tendance islamique-traditionaliste, dirigée par Ben Badis. Malgré cette diversité idéologique, Messali Hadj et son parti, le PPA-MTLD (parti populaire algérien – mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), allaient dominer le nationalisme algérien jusqu’en 1954.
La première étape critique tournait précisément autour de la question de la nation algérienne : comment elle devait être conçue et de quoi elle était composée. À la fin des années 1940, une branche radicale du PPA-MTLD s’opposait à la qualification par la direction de la nation et du mouvement nationaliste comme étant « arabe », plutôt que « algérienne » ; elle demandait la reconnaissance de la dimension berbère de l’Algérie. Elle s’opposait également aux connotations de plus en plus islamiques de la rhétorique du mouvement. Elle voulait un débat sur ces questions, mais la direction du PPA-MTLD refusait. Au lieu de cela, cette dernière initia une chasse aux sorcières, excluant du mouvement les principaux porte-parole de l’inclusion et les accusant de régionalisme, de sectarisme culturel et de divisionnisme. L’arabo-islamisme et la « question berbère » resteraient des questions brûlantes, mais occultées.
La crise de 1949 eut de lourdes conséquences pour le nationalisme algérien. Elle mit en lumière des questions qui n’avaient pas été traitées auparavant et qui resteraient non résolues : Qui sommes-nous, et que voulons-nous accomplir ? Quel type de nationalisme pour la libération de l’Algérie ? Vers où nous tournons-nous – vers l’ouest (Europe) ou vers l’est (monde islamique) ? À partir de ce moment, le déni de débat, l’engagement envers la position la plus conformiste et la résolution des crises par la force brute devinrent emblématiques de la vie politique. De plus en plus, l’hétérogénéité du paysage politique et culturel algérien était niée et forcée à rester clandestine.
La « crise berbériste », comme on l’appelait, était liée à une autre crise au sein du mouvement nationaliste ; ensemble, elles peuvent être considérées comme des « moments fondateurs ». Déguisée en une dispute tactique, la nouvelle crise était essentiellement une lutte pour le pouvoir. À partir de la fin des années 1940, le PPA-MTLD était déchiré par des dissensions sur la question de savoir s’il fallait lutter pour l’indépendance de la France par des moyens révolutionnaires, préconisés par le Comité central, ou par des négociations, préconisées par Messali Hadj. À la lumière de cette scission, un nouveau groupe, le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), émergea au sein du PPA-MTLD au printemps 1954. Il prit le contrôle du mouvement, expulsa Messali Hadj, marginalisa une grande partie de l’élite politique, créa le Front de libération nationale (FLN) et lança la Révolution algérienne.
Avec la création du FLN le 1er novembre 1954, la lutte armée s’imposa comme le seul moyen de renverser l’entreprise coloniale française, et une culture politique de « beni oui-ouisme » – la silenciation du débat, et l’insistance sur la conformité et l’acquiescement – accompagna l’institutionnalisation du FLN. La politique fut remplacée par le mythe d’une « volonté populaire », dont le FLN était le représentant et protecteur exclusif. Ainsi commença l’élaboration de ce que les Algériens appelleraient plus tard, de manière péjorative, « le système » – le système politique algérien.
S’il n’y avait pas eu de « crise berbériste » et une prise de pouvoir militariste basée sur une base étroite, le nationalisme algérien à la veille de l’indépendance aurait peut-être bénéficié d’un degré d’inclusion plus élevé et d’une arène politique plus représentative. Cela aurait permis des débats multivoix sur la stratégie pour affronter les Français et construire l’État algérien.
La monopolisation du pouvoir et la fabrication des mythes
Le Congrès de la Soummam, convoqué par Abane Ramdane en 1956 pour résoudre les problèmes liés à la conduite de la révolution, doit être compris comme une autre étape critique : un moment historique où la direction du mouvement et son leadership auraient pu être modifiés – en faveur du dialogue et de l’inclusion. Au lieu de cela, l’opportunité fut perdue et une ère de luttes internes plus vigoureuses suivit.
La plateforme acceptée au Congrès avait insisté sur la primauté du politique sur le militaire. Elle avait également embrassé l’inclusion dans la nation algérienne des non-Arabes – Berbères, Juifs et Européens – qui soutenaient eux-mêmes la lutte algérienne pour l’indépendance. En pratique, cependant, le noyau militarisé formé principalement par l’Armée de libération nationale (ALN) domina l’arène politique ; le FLN n’aurait aucune existence indépendante de celui-ci. De plus, l’exclusivisme ethno-religieux sous la forme de l’arabo-islamisme resta intact. De plus, la prédilection pour masquer ou liquider physiquement les voix alternatives ou les centres de pouvoir potentiels persista également : en 1957, Abane Ramdane, qui était devenu l’un des dirigeants les plus influents du FLN et rejetait ouvertement le militarisme croissant du leadership, fut exécuté par ses co-révolutionnaires. S’il n’avait pas été éliminé, mais plutôt libre de continuer à exercer un rôle de leadership et à promouvoir ses vues, l’armée aurait pu rester un bras de la structure politique, plutôt que sa tête, et un paysage politique plus inclusif aurait pu en résulter. Après sa mort, un noyau dur, mobilisé par un populisme facile et le militarisme, détourna le nationalisme algérien.
Néanmoins, des luttes internes continues démentaient la création d’une organisation étroitement soudée : le FLN échoua à construire des institutions politiques significatives et à développer des moyens efficaces pour gérer les conflits intra-élites. De plus, sans plateforme politique claire et sans accord sur l’orientation générale de la révolution, les conflits restaient fortement personnalisés. En effet, un focus sur « l’individu » dominait « le système », prenant le pas sur la stratégie.
La période de 1956 à 1962 a jeté les bases de ce qui allait suivre. C’est alors que le système fut élaboré, ayant été détourné par le noyau militariste et exclusiviste, seulement pour être consolidé ainsi dans les années d’indépendance. Quant à la « crise berbériste » de 1949, elle fut le présage des conflits brutaux des années 1980 et 1990. Ensuite, la marginalisation à la fois du particularisme berbère et d’une certaine interprétation des valeurs islamiques, et l’insistance de leurs partisans sur leur intégration respective, occuperaient la scène politique.
À la suite de la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet 1962, il y eut une lutte frénétique pour le pouvoir. Un groupe de cinq hommes auto-nommés s’empara du pouvoir avec le soutien de l’ALN externe, l’institution la plus cohésive au sein du mouvement nationaliste. Ahmed Ben Bella, qui avait été soit en prison soit à l’étranger depuis 1950, affirma son leadership par la force des armes, excluant du pouvoir ceux qui avaient mené la lutte en son absence. Le 28 septembre 1962, Ben Bella devint le premier président de l’Algérie et Houari Boumedienne, un colonel éminent de l’ALN, son ministre de la défense.
Sans aucun doute en raison de la manière dont le FLN avait dominé la vie politique, les régimes algériens ont perçu la diversité et la différence comme des menaces profondes – des agents potentiels de désintégration de leur monopole exclusif du pouvoir. Ainsi, l’autoritarisme, combiné à des mythes d’unité et à l’absence de différenciation sociale et de particularismes idéologiques, régionaux et linguistiques, persista dans le « parti-nation » du FLN – dans sa rhétorique et ses programmes. Comme l’État masquait la complexité et la diversité réelles de la société algérienne, les défis posés par les profondes divisions – urbaines-rurales, arabo-berbères, francophones-arabophones-berbérophones, « européanisées »-« traditionnelles » – étaient niés et ignorés, aggravant ainsi au fil du temps les conflits sociaux qu’ils engendraient. Néanmoins, en raison de l’insistance obsessionnelle et instrumentale sur « le peuple », le discours officiel avait créé l’illusion, et l’attente, que tous bénéficieraient de la révolution, sans distinction. Cela solidifia la légitimité de l’État et son hégémonie sur la société.
Khaled Boulaziz