Si tu parles, tu meurs, si tu te tais, tu meurs. Alors parle et meurs.
Tahar Djaout – Homme de lettres algérien
Alors que le monde s’apprête à accueillir le mois sacré du ramadan, dans une atmosphère de grande tristesse face au génocide des Palestiniens, dans cette toile tissée d’une incommensurable détresse, les fidèles, en quête de lumière, se retrouvent pris au piège de la perplexité et de l’incompréhension. Des mosquées de Rabat à Jakarta, là où la parole divine résonne et où l’espérance fleurit, le silence assourdissant d’Al-Azhar et de ses dirigeants retentit comme un écho aux cris à la vie de la Palestine qu’on extermine.
Les cœurs des croyants, habitués à puiser dans les enseignements d’Al-Azhar et de ses leaders spirituels la force d’agir pour le bien, sont brisés par le poids de l’inaction et de la complaisance de cette vénérable institution et de ses dirigeants face à la grande tragédie de notre siècle : le drame de la Palestine meurtrie. Les paroles de compassion et de solidarité semblent s’effacer devant le mutisme effroyable émanant de cette haute autorité religieuse.
Dans les regards troublés des simples cœurs, on peut décerner la confusion et l’incrédulité devant cette faille béante dans les fondements mêmes de leur foi. Comment concilier la grandeur de l’amour divin avec la lâcheté de l’indifférence humaine ? Comment continuer à croire en la justice et en la miséricorde lorsque celles-ci semblent si cruellement absentes ?
La déception s’est muée en colère, et de nombreux fidèles ont vu leur foi ébranlée par cette rupture entre les paroles sacrées et les actes temporelles. Al-Azhar, jadis perçu comme le bastion inébranlable de la rectitude et du devoir, s’est trouvé éclaboussé par les taches sombres de sa désertion, devant la Palestine martyre.
On attendait de ces responsables qu’ils agissent et qu’ils dirigent la nation islamique lors des grandes épreuves, cependant, on ne peut que constater qu’ils ont fait preuve de trahison et de compromission et ont échoué lamentablement dans leur mission, qui est de promouvoir la justice et l’aide d’abord aux opprimés de ce monde.
Dans le triste tableau de l’abandon, ces guides spirituels paraissent avoir perdu le fil de leur propre enseignement. Ils ont renié jusqu’à leurs propres prêches, qui exaltent les compagnons du Prophète, leurs positions intrépides et leur courage durant les grands moments de l’Islam. Lorsque ces mêmes dangers évidents à tout le monde se sont dressés comme le soleil à l’horizon, nos cheikhs se sont trouvés à se ranger derrière les condamnations et les lamentations, plutôt que de faire face avec la même bravoure que celle qu’ils louaient dans leurs discours.
Face à l’aggravation de la situation, et alors que l’ethnocide effroyable continue en Palestine, les fidèles du monde entier espéraient voir nos illustres hommes religieux d’Al-Azhar prendre la tête d’une grande insurrection morale. Ils attendaient qu’ils dirigent les marches imposantes dans les pays limitrophes pour briser le blocus étouffant qui assaille la Palestine. Mais qu’elle fut, et qu’elle reste, leur déception, une tache sombre dans l’histoire de cette institution.
Pourtant, même au milieu de cette tempête de doutes et de désillusions, l’étincelle de l’espoir persiste. Car la véritable grandeur de la foi réside dans sa capacité à transcender les fautes humaines, à trouver la lumière au cœur des ténèbres les plus épaisses.
Ainsi, que les voix des croyants se mêlent aux lamentations des palestiniens qui sont assassinés chaque jour, que leur déception se transforme en appel à la vérité et à la justice. Qu’Al-Azhar, en répondant à cet appel, retrouve sa véritable mission : être le phare de l’amour divin dans un monde assombri par la haine et l’oubli, mais surtout le porte-voix des sans-voix, les laissés pour compte de la terre.
Privée de cette essence vitale, tout autre prêche et édicte de cette illustre institution, ainsi que des dirigeants qui la représentent, ne seront que vains murmures, perdus dans l’écho du néant, incapables de toucher l’âme des damnés de cette terre, en quête de réconfort.
Le mois du Ramadan approche, les cœurs aspirent à la communion et à la piété, et ils attendent de cette illustre institution et de ses sages qu’ils émergent de leur propre égarement. Si même cette période sacrée ne parvient pas à leur offrir la rédemption tant espérée, désormais, le lien de confiance entre tout musulman et cette institution autrefois vénérée serait rompu à jamais, emporté par les vents de la lâcheté et de la compromission.
Khaled Boulaziz