Si une religion n’est pas utile dans la vie, elle ne peut certainement pas l’être après la mort.
— Ali Shariati
Dans le domaine de la science islamique et du leadership spirituel, l’Université Al-Azhar s’est longtemps imposée comme une référence doctrinale et morale. Fondée il y a plus de mille ans au Caire, elle fut un phare du savoir et de la jurisprudence. Mais à l’aube de cette époque de ténèbres absolues, une évidence crève les yeux : l’islam de demain ne passera plus par Al-Azhar. Car ce dernier s’est retranché dans un mutisme honteux, alors même que les sionistes imposent une famine planifiée et monstrueuse aux habitants de Gaza. Ce silence est une trahison.
Depuis octobre 2023, ce ne sont plus seulement les bombes, mais la faim qui tue à Gaza. Les civils palestiniens, affamés, désossés, agonisent devant les caméras du monde entier. Des enfants meurent de malnutrition, des mères donnent leur sang à boire à leurs nourrissons, des vieillards s’éteignent en silence, sans pain, sans riz, sans eau potable. Jamais dans l’histoire moderne une telle famine n’a été si délibérément orchestrée, si froidement méthodique. Et pourtant, Al-Azhar, supposée autorité morale de la oumma, détourne le regard.
Ce n’est plus une tragédie, mais un crime contre l’humanité en direct, perpétré par l’occupant israélien avec la complicité active des puissances occidentales et le silence infâme de nombreuses capitales arabes. Dans cette nécropole à ciel ouvert qu’est devenue Gaza, la famine est l’arme la plus silencieuse et la plus atroce. Elle tord les boyaux et l’âme, elle efface l’enfance, elle broie les corps sans faire de bruit. Elle est devenue le langage d’un génocide bureaucratisé.
Or, dans cette horreur absolue, le silence d’Al-Azhar est plus qu’un aveu : c’est un abandon. Là où l’on attendait des oulémas une parole claire, ils récitent des vœux pieux, des prières abstraites. Rien sur le blocus. Rien sur les camions d’aide empêchés. Rien sur les enfants morts de faim. Une trahison glaciale. Car dans l’islam prophétique, se taire face à l’oppression, c’est se ranger du côté de l’oppresseur.
Pendant que les sionistes affament Gaza, les autorités religieuses les plus influentes du monde musulman feignent l’impuissance. Et pourtant, leurs paroles pourraient mobiliser des millions. Elles pourraient rompre l’isolement des Gazaouis, forcer les frontières, réveiller les consciences. Mais elles choisissent la prudence. La diplomatie. Le silence.
La famine à Gaza n’est pas un effet secondaire. Elle est un projet politique, conçu dans les bureaux militaires, validé par les rabbins bellicistes, légitimé par l’apathie générale. Le peuple palestinien meurt littéralement de faim, et l’université censée incarner les valeurs morales de l’islam récite des communiqués creux. L’écart entre la souffrance réelle et le discours religieux est devenu abyssal.
Cette situation rend manifeste une faillite théologique : que vaut une foi incapable de nommer le mal, d’y opposer une résistance ? Le Prophète (paix sur lui) n’a jamais hésité à affronter les puissants injustes. Il a porté les causes des humiliés. Il n’aurait pas détourné les yeux devant un enfant affamé. Al-Azhar, en se taisant, renonce à cet héritage prophétique.
La famine actuelle à Gaza est le miroir de notre époque. Elle ne reflète pas seulement la barbarie de l’occupant, mais aussi la faillite des institutions religieuses, devenues complices par omission. Al-Azhar aurait pu appeler à un sursaut. Elle aurait pu délégitimer religieusement le blocus. Elle aurait pu mobiliser les cœurs et les corps. Elle a préféré l’ambiguïté.
Dans les souterrains de Gaza, sous les décombres, gisent non seulement les cadavres, mais le dernier souffle moral d’une institution qui fut autrefois la voix des justes. Le monde musulman ne peut plus faire confiance à une autorité qui, face à l’extermination par la faim, choisit le confort du silence diplomatique. Le futur de l’islam, s’il doit être sincère, ne peut plus se conjuguer avec l’inertie d’Al-Azhar.
Al-Azhar doit parler. Al-Azhar doit dénoncer. Al-Azhar doit s’élever. Il en va non seulement de sa crédibilité, mais de l’âme même de l’islam. Il ne peut y avoir de foi véritable qui tolère la famine d’un peuple entier, la négation de son humanité, la destruction méthodique de ses enfants.
Car si les Gazaouis meurent aujourd’hui de faim, c’est aussi que ceux qui auraient pu les défendre ont choisi de se taire.
Khaled Boulaziz