Il n’y a plus de guerre à Gaza. Il n’y a plus d’armée face à une autre armée. Il n’y a plus de « théâtre d’opérations ». Il y a un carnage. Un massacre à huis clos. Un abattoir algorithmique. Il y a un peuple affamé, démembré, piétiné, et un État colonial qui a pris l’habitude de vomir sa rage nucléaire sur des enfants décharnés. Et pendant ce temps, les plumitifs du Monde (1) débitent leur propagande en manchettes aseptisées, dégoulinantes d’objectivité mensongère : « Israël appelle la population à évacuer ». Comme si le monstre prévenait sa proie avant de la broyer.
Mais où donc doivent-ils aller, les Palestiniens ? Où fuir, quand toute la bande de Gaza est une trappe ? Quand le « sud » recommandé par Tsahal est déjà bombardé avant que les pieds ensanglantés des déplacés n’y parviennent ? C’est un jeu macabre, un labyrinthe de mort où chaque direction mène à une frappe. Une farce nécropolitique où les mêmes qui enferment Gaza comme un camp de concentration ont l’outrecuidance de parler de couloirs « humanitaires ».
Il n’y a pas d’humanitaire dans une famine programmée. Il n’y a pas d’évacuation quand chaque centimètre carré est sous les crocs des drones. Il n’y a que la barbarie d’État, élevée au rang de doctrine, applaudie par les chancelleries, rendue invisible par les médias bien peignés. Et ceux qui ne meurent pas sous les bombes meurent de faim. Lentement, avec méthode, selon une architecture sadique de la punition collective. Car l’arme alimentaire, ici, n’est pas un accident de la guerre : elle en est la stratégie centrale. On affame, on empoisonne l’eau, on brûle les silos à blé, on cible les convois d’aide comme on viserait un dépôt d’armes. On parle d’« opération militaire », mais on pratique l’extermination logistique. Gaza est un camp d’expérimentation pour une nouvelle forme de nécropolitique algorithmique, où les meurtres se programment, se ventilent, s’optimisent.
Et cette barbarie ne tombe pas du ciel. Elle n’est pas le fruit d’un chaos. Elle a ses penseurs, ses doctrinaires, ses scribes religieux. Ses ingénieurs de l’horreur. À la racine de ce massacre se trouve un messianisme militarisé, fusion monstrueuse entre le sabre et la synagogue, et un complexe techno-industriel de mort, piloté depuis Tel-Aviv, sponsorisé à Washington, couvert à Bruxelles. Et ses maîtres-penseurs sont les rabbins talmudistes, ces idéologues zélés qui bénissent les bombes et sanctifient la conquête, ces fabricants de fatwas coloniales, ces stratèges de la purification ethnique qui récitent les psaumes entre deux frappes aériennes.
Ils ne sont ni fous ni isolés : ils sont intégrés à l’appareil d’État, ils enseignent à l’armée, ils inspirent les commandants de brigade, ils prophétisent la disparition des Amalékites modernes — entendez : les Palestiniens. Ils ont remplacé la Torah par le missile, la loi morale par la loi du plus fort. Et dans leur vision du monde, il n’y a pas de place pour un peuple libre entre le Jourdain et la mer. Tout doit être rasé, expulsé, englouti.
On parle d’« offensive » comme on parlerait d’une manœuvre militaire. Non. Ce qui se prépare, c’est un achèvement. L’extermination d’un peuple par tranches, par vagues, par couches superposées de feu et de plomb. On appelle cela des « opérations ». On parle de « terroristes neutralisés ». Mais dans les faits, ce sont des gosses réduits en fragments, des femmes enterrées vivantes, des vieillards morts de déshydratation. C’est une nécrose géopolitique que personne n’ose plus regarder. Même le pape — ce pape courageux — parle de « barbarie ». Mais que pèse une prière quand les F-35 larguent leur dogme ?
Et pendant ce temps, les technocrates européens, ces prostituées diplomatiques à cravate bleue, distribuent des déclarations creuses entre deux ventes d’armes. L’ONU ? Un théâtre de l’absurde. Un cimetière de résolutions. Les États-Unis ? Parrains, financeurs, fournisseurs. Biden ou Trump, peu importe : le pipeline est le même. Et Le Monde, entre deux articles sponsorisés, ose encore parler « d’élargissement de l’offensive ». Quelle neutralité obscène.
Ils veulent que les Palestiniens disparaissent. Non pas d’un coup — ce serait trop visible — mais lentement, jusqu’à extinction. Par la faim, par la fatigue, par la fragmentation. Ils veulent que le dernier enfant meure, que la dernière pierre soit effondrée, que la dernière clef soit rouillée. Et que le monde, repu de hashtags et d’indignations mécaniques, passe à autre chose. C’est cela, leur plan de combat. Et pendant qu’on évoque les otages israéliens, comme si leur sort justifiait le massacre de 60 000 civils, on oublie que c’est Israël qui a kidnappé tout un peuple depuis 1948.
Il est temps de cesser de parler poliment. Israël, aujourd’hui, est un État-voyou, un État carnassier, un État messianique qui se repaît de cadavres en appelant cela défense. Un État que seule l’Apocalypse semble pouvoir arrêter. Et ceux qui lui tiennent la main — médias, lobbies, gouvernements — sont complices. Qu’ils le sachent : l’Histoire, elle, n’oubliera pas. L’Histoire dressera les noms, les visages, les votes, les silences.
Et dans cette Histoire-là, Gaza ne sera pas la victime. Gaza sera le stigmate. La cicatrice du siècle. Le nom que nos petits-enfants cracheront avec honte en pensant à notre lâcheté. Mais Gaza vivra. Parce qu’on ne tue pas une cause. Parce qu’un peuple qui marche pieds nus sur les cendres est déjà immortel.
Et si ses veines saignent encore, c’est qu’elles charrient plus que le sang :
Elles charrient notre honte.
Elles charrient l’aveuglement des nations.
Elles charrient une humanité figée, hébétée, emmurée dans sa propre décadence.
Elles saignent, oui — mais ce sang-là n’est pas seulement palestinien.
C’est le sang d’un monde qui ne sait plus hurler, qui ne sait plus pleurer, qui ne sait plus dire non.
Et chaque goutte qui tombe sur le sable de Gaza, porte en elle l’empreinte d’un silence universel.
Une humanité incapable de s’indigner.
Méduse. Fossilisée.
Complice par omission.
Et damnée pour ses yeux secs.
Khaled Boulaziz