La mort a élu domicile à Gaza

À Gaza, la mort n’est plus une surprise. Elle n’interrompt plus les repas. Elle n’effraie plus les enfants. Elle est partout, tout le temps. Elle est devenue un meuble, une habitude, un hôte permanent. Elle entre dans les maisons comme une cousine, s’installe dans les mosquées, plane sur les files d’attente pour un sac de farine. Elle a ses quartiers. Elle a élu domicile.

Ce matin encore, à l’aube, trente Palestiniens ont été exécutés. Abattus en silence, alors qu’ils attendaient, debout, sans armes, une maigre aide alimentaire. Ils espéraient du pain, ils ont reçu des balles. C’est cela, la logique coloniale de l’entité sioniste : tuer l’affamé, bombarder l’orphelinat, raser l’hôpital. Et le monde entier regarde, commente, puis passe à autre chose.

Ce n’est pas une guerre. C’est une liquidation. Un nettoyage à ciel ouvert. Une entreprise d’extermination menée avec calme et rigueur, sous les caméras, avec le langage de la légalité. Chaque jour, les bulldozers avancent, les missiles tombent, les enfants meurent. Et chaque jour, les chancelleries mesurent leurs mots pour ne pas froisser les bourreaux.

Ils disent : « Israël a le droit de se défendre ». Ils disent : « Hamas utilise des boucliers humains ». Ils disent, ils disent, pendant que les corps s’accumulent, pendant que les mères hurlent et que les ambulances sont ciblées. Ce n’est pas seulement de l’hypocrisie : c’est de la complicité.

L’armée israélienne, appuyée par les chancelleries occidentales, a lancé une nouvelle incursion, cette semaine, dans les zones centrales et nord de Gaza. Officiellement, il s’agissait de « démanteler des infrastructures de la résistance ». En réalité, il s’agissait de faire ce qu’ils font depuis des mois : tout raser, tout tuer, tout faire taire. Les bombes sont tombées sur les hôpitaux, les écoles, les marchés. Ils frappent tout ce qui respire. Tout ce qui se tient debout.

Mais Gaza ne tombe pas. Gaza résiste. Gaza tient debout entre les ruines. Les Brigades al-Qassam, les combattants de la résistance palestinienne, n’ont pas plié. Avec un réseau de tunnels, des armes artisanales, une foi impossible à détruire, ils ont repoussé l’envahisseur, infligé des pertes, répondu. Pas pour vaincre — pour exister.

La résistance à Gaza n’est pas seulement militaire. Elle est vitale, organique, quotidienne. Résister, à Gaza, c’est porter un enfant jusqu’à un dispensaire sans se faire tuer. C’est chercher de l’eau potable. C’est enseigner au milieu des gravats. C’est enterrer les siens sans perdre la raison. Gaza n’est pas une ville — c’est une épreuve morale lancée à la face du monde.

Plus de 56 000 morts depuis octobre 2023. Des milliers de disparus. Des quartiers rayés de la carte. Des infrastructures détruites à 60 %, parfois plus. À Khan Younès, il ne reste que des squelettes de béton. À Rafah, les cadavres s’accumulent dans les glacières, quand il y en a. À Jabalia, on tire les corps d’enfants à mains nues sous les décombres.

Les équipes de secours n’ont plus rien. Pas de carburant. Pas de bulldozers. Pas d’ambulances intactes. Et même quand elles arrivent, elles sont visées. Être médecin à Gaza, c’est signer une sentence de mort. Être journaliste à Gaza, c’est choisir de mourir avec les mots justes. Être vivant à Gaza, c’est un miracle qui coûte cher.

Et malgré tout cela, Gaza tient. Gaza ne supplie pas. Gaza accuse.

Elle accuse d’abord l’entité sioniste talmudique, qui a fait du meurtre un sacerdoce, de la colonisation une foi, et de la destruction d’un peuple un projet national. Elle accuse ceux qui, derrière le Talmud, dissimulent la haine de l’Autre, l’obsession de la pureté, la sacralisation de la domination. Elle accuse cette idéologie pour qui le goy est un sous-homme, la terre promise une propriété exclusive, et la Palestine un obstacle à effacer.

Elle accuse ensuite l’Occident, cet empire du verbe creux, des droits humains conditionnels, des sanctions sélectives. Washington arme, Berlin finance, Paris justifie, Londres protège. L’Europe se drape de principes quand il s’agit de l’Ukraine, mais devient aveugle à Gaza. Deux poids, deux morts. Deux peuples, deux valeurs. Deux humanités.

Mais le plus ignoble — le plus impardonnable — c’est le silence des Arabes. Ces rois de carton, ces présidents sans honneur, ces émirats ventrus de pétrole et de lâcheté. Ils vendent la Palestine pour des accords d’armement, pour des visas dorés, pour des deals de sécurité avec les bourreaux. Leurs mosquées résonnent de versets, mais leurs mains sont trempées dans le sang des enfants de Gaza. Leur trahison est plus meurtrière que mille bombes.

Et pendant ce temps, la diplomatie fait semblant. Les conférences se succèdent, les résolutions s’empilent. On parle de cessez-le-feu pendant qu’on arme les avions. On parle d’aide humanitaire pendant qu’on bloque les camions. L’ONU, réduite à un théâtre de deuil stérile, n’est plus qu’un cimetière de promesses. La Croix-Rouge supplie. Le CICR se tait. L’histoire jugera leur lâcheté.

Gaza est aujourd’hui le point de rupture de l’ordre moral mondial. Ce qui se joue là-bas n’est pas seulement le sort d’un territoire — c’est le destin d’un concept : l’humanité. Un peuple entier est sacrifié en temps réel, et le monde ne bronche pas. Ce n’est plus un échec : c’est un suicide collectif.

Mais Gaza ne meurt pas. Gaza est le cœur battant de la dignité. Gaza enseigne au monde ce qu’est la vraie vie : celle qui préfère mourir debout que vivre à genoux. Celle qui élève les martyrs comme des phares, et les ruines comme des preuves.

La mort a élu domicile à Gaza. Mais Gaza a refusé de mourir. Et tant que Gaza tiendra, il restera à l’humanité une chance de se relever.

Khaled Boulaziz