Algérie, caserne à ciel ouvert : l’État militarisé humilie son peuple à guichet fermé

182 000 candidats pour 498 postes. En Algérie. En 2025. Ce ne sont pas des chiffres. Ce sont des chaînes. Ce sont des cicatrices vives sur le visage d’un peuple pris en otage par un régime qui a fait de la misère une méthode, et de l’humiliation une politique d’État.

Le concours « national » pour quelques postes de facteur, de chauffeur ou d’agent de guichet n’est pas une opportunité d’emploi : c’est un rituel d’humiliation collective. Ce n’est pas un recrutement, c’est une loterie administrée par une caste qui tient l’Algérie comme on serre une gorge. Les 182 000 dossiers déposés ne sont pas des actes de candidature : ce sont des appels à l’aide. Ce sont les lettres désespérées d’un peuple que l’on pousse à mendier sa dignité.

Car qui dirige ce pays ? Une junte déguisée. Un pouvoir militaire sans légitimité, sans vision, sans projet. Une caste fossilisée dans ses privilèges, dont le seul souci est de protéger ses réseaux, ses marchés, ses enfants. Ceux-là n’attendent pas à la poste. Ils n’ont pas besoin de concours. Ils vivent dans l’impunité. Dans la rente. Dans les ambassades. Pendant que le peuple, lui, fait la queue à 4 heures du matin pour une chance d’être payé à distribuer du courrier ou conduire un camion.

Le drame n’est pas qu’il y ait 182 000 chômeurs. Le drame, c’est que ces 182 000 jeunes croient encore devoir passer par ce système pour espérer vivre. Le régime a réussi à faire croire que la seule sortie du tunnel, c’est l’entrée dans ses rouages. Il ne propose pas un avenir : il propose une affectation.

Le pire, c’est l’arrogance administrative avec laquelle ce cirque est organisé. Des plateformes numériques saturées, des communications confuses, des critères opaques, des passe-droits omniprésents. On ne recrute pas les meilleurs : on trie les plus dociles, les plus silencieux, les moins exigeants. Ce concours n’est pas une épreuve de compétences. C’est une épreuve de résignation. Une formation à l’obéissance bureaucratique.

L’Algérie ne manque ni de ressources, ni de cerveaux, ni d’énergie. Elle manque de liberté. Elle manque de rupture. Elle manque de feu. Elle est prise en otage par un pouvoir militaire qui se reproduit dans les coulisses du pouvoir civil, qui gouverne par la peur, le chantage et la distribution au compte-gouttes de postes subalternes.

Ce pouvoir n’a qu’un seul objectif : maintenir la population en état de survie. Il ne veut pas d’un peuple libre, éduqué, autonome. Il veut des demandeurs. Il veut des corps dociles. Il veut des lignes d’attente, pas des lignes de front. Il préfère cent mille candidats pour un emploi plutôt qu’un seul citoyen debout qui conteste.

Ce que révèle ce concours, c’est la profondeur du désespoir. L’étendue du désert social. La généralisation de l’esclavage salarial sous contrôle militaire. Dans un pays qui brûle de jeunesse, on distribue des postes de facteur comme des morceaux de pain dans une prison.

Les généraux ont colonisé l’État. Les services de renseignement ont absorbé la société. L’armée a digéré la politique. Et maintenant, ils veulent contrôler jusqu’à la dignité du travail. Ils ne libèrent pas des postes, ils distribuent des miettes pour maintenir l’illusion d’un pays qui fonctionne.

Mais l’Algérie ne fonctionne pas. Elle tourne en rond, dans un cercle vicieux de stagnation, de répression et de corruption. Elle n’a pas de cap. Elle n’a plus de rêve. Elle est prise en otage par ceux qui se sont servis de la guerre de libération pour installer une contre-colonisation de l’intérieur. Ceux-là sont pires que les colons : ils parlent notre langue, ils prétendent à notre histoire, mais ils ont trahi jusqu’au nom de la révolution.

Ce concours devrait déclencher une insurrection morale. Il devrait provoquer la honte dans les hautes sphères de l’État. Mais non. Il est brandi comme une preuve d’efficacité, comme une réussite de gestion. Ils osent parler de mérite. De transparence. Pendant que dans les quartiers, les familles se battent pour que leurs enfants obtiennent un poste à 30 000 dinars par mois.

L’indépendance était une promesse. Ce régime en a fait une prison. Et chaque concours, chaque recrutement, chaque embauche contrôlée devient un instrument de domination. Un outil de tri. Un test de soumission.

La seule réponse à cette farce, c’est la révolte. Pas seulement contre le système d’emploi. Mais contre le régime tout entier. Contre la confiscation de l’espoir. Contre l’appropriation de l’État par une poignée de généraux vieillissants qui n’ont pour seul héritage que le silence et la peur.

L’Algérie n’est pas un tableau Excel de postes à pourvoir. Elle n’est pas une série de guichets à remplir. Elle est une nation brisée par la trahison. Elle mérite mieux que cette gouvernance de caserne. Elle mérite une insurrection contre la banalisation de la soumission.

Tant que ces concours seront présentés comme des victoires, tant que 182 000 jeunes accepteront d’attendre dans la dignité mutilée, le régime aura gagné. Mais le jour où l’on refusera de candidater à l’humiliation, ce jour-là, l’Algérie respirera à nouveau.

Khaled Boulaziz