Tandis que l’Algérie s’effondre sous le poids de son incompétence structurelle, qu’elle n’est même pas capable de produire de manière autonome une vulgaire voiture à essence, le régime militaire, drapé dans ses oripeaux technocratiques, rêve de batteries lithium-fer-phosphate comme un vieillard sénile rêverait de conquêtes amoureuses. Cette signature en grande pompe d’un « mémorandum d’entente » entre l’ORGM et le professeur Karim Zaghib, présenté comme le messie du stockage énergétique, relève moins d’un projet industriel que d’un cache-misère rhétorique pour dissimuler l’état de décomposition avancée d’un pays qui vend ses promesses comme on vend sa dignité.
Que vaut le lithium dans un pays sans souveraineté technologique ? Rien. Absolument rien. Un mirage. Une chimère de conférence de presse. Pourquoi explorer le lithium quand on est incapable de produire un simple moteur thermique, quand l’université algérienne, muselée et désertée par ses élites, forme plus des candidats à l’exil que d’innovateurs ? La mine de Djebel Onk peut bien regorger de phosphate, cela ne changera rien au fait que la chaîne de valeur n’existe pas. Car la valeur, dans ce pays, c’est celle qu’on brade aux étrangers, ou qu’on écrase sous la botte des généraux.
L’accord avec Karim Zaghib est un acte de propagande, pas une stratégie industrielle. On y parle de « création d’unité dédiée », de « consultation », de « faisabilité »… tout sauf de réalité. Ce jargon bureaucratique ne cache qu’un abîme : celui de l’Algérie vidée de sa substance industrielle depuis les années 1980, vendue à la découpe à des intérêts opaques, pillée par une caste militaro-financière dont la seule compétence est de transformer les richesses nationales en comptes offshore. Pendant que le peuple crève dans des hôpitaux en ruine, que les jeunes fuient sur des zodiacs, qu’a-t-on à faire de cathodes et d’anodes ? C’est l’oxymore d’un pays qui importe tout et rêve de satellites.
Le problème n’est pas nouveau, il est systémique. Le secteur des hydrocarbures, autrefois colonne vertébrale de la nation, est devenu un théâtre d’ombres où se jouent les dernières manœuvres d’un régime moribond. On nous parle aujourd’hui de gaz de schiste, comme on nous parlait hier de « valorisation du bassin de Berkine » ou de « stratégie d’indépendance énergétique ». La réalité ? Une énième vente en cachette, sans débat, sans contrôle parlementaire, sans étude d’impact environnemental, dans l’opacité la plus totale. L’exploitation du gaz de schiste, dans un pays assoiffé, menacé par la désertification et sans système d’assainissement digne de ce nom, n’est pas un projet : c’est un crime écologique annoncé, et surtout un prétexte pour maintenir sous respiration artificielle une rente finissante.
Le gaz de schiste est au régime ce que la morphine est au condamné à mort : un répit mensonger. Derrière les contrats signés à huis clos avec des multinationales, se cache une stratégie de survie, non pas pour l’Algérie, mais pour ceux qui l’ont prise en otage. Le sous-sol algérien n’appartient plus au peuple, il est l’actif fongible d’un pouvoir sans légitimité, d’une nomenklatura en panique, qui négocie l’éternité contre la terre.
L’État parle de “souveraineté énergétique”, mais il ne contrôle même pas son électricité. À quoi bon prétendre amorcer une “transition vers une économie verte” quand l’économie tout court est exsangue, quand l’agriculture est aux mains des spéculateurs, quand l’industrie automobile a été réduite à des usines de montage frauduleuses ? Où sont les bases scientifiques de cette ambition ? Où sont les centres de recherche libres ? Où est l’indépendance, quand le moindre projet repose sur le retour d’un Algérien de l’étranger, présenté comme un trophée d’excellence exilée ?
Le lithium comme le gaz de schiste ne sont pas des projets économiques, mais des symptômes. Symptômes d’un pouvoir qui ne produit plus rien, qui ne rêve plus, qui ne construit plus. Un pouvoir dont la seule fonction est de durer, même s’il faut pour cela vendre la nappe phréatique du sud, hypothéquer le sous-sol, brader les richesses futures aux plus offrants, souvent en secret, toujours sans le peuple.
La seule véritable richesse, la plus ardente, la plus indomptable, celle que nul décret ne saurait contenir ni aucun mémorandum feutré dissimuler, c’est cette jeunesse algérienne — fière, vaillante, incandescente — qui brûle du désir de reprendre les rênes d’un pays que d’autres ont souillé d’atermoiements et de trahisons. Et c’est précisément cette force vive, cette sève rebelle, que le régime s’acharne à ignorer, à étouffer, à tenir en lisière, de peur qu’elle ne renverse enfin l’ordre usurpé des vieillards qui marchandent l’avenir au prix du silence
Khaled Boulaziz