Le 16 avril 2025, une frappe aérienne israélienne a visé une maison du quartier Al Tuffah, au nord-est de Gaza. À l’intérieur, la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, 25 ans, a été tuée avec dix membres de sa famille. Elle s’appelait Fatima. Elle était la lumière dans un tunnel de ténèbres. Elle photographiait Gaza pour que le monde ne détourne pas les yeux. Et elle a été exécutée pour cela.
Fatima Hassouna n’était pas une simple journaliste. Elle était l’œil de Gaza, une voix lucide et bouleversante au milieu du chaos. Pendant plus d’un an et demi, elle a capturé l’indicible : la détresse, la survie, les regards d’enfants dans les ruines, les silences de deuil. Chaque cliché était une plaie ouverte, chaque image un acte de résistance.
Avec la réalisatrice iranienne exilée Sapideh Farsi, elle avait donné naissance à un documentaire intitulé Mets ton âme dans ta main et marche, sélectionné au Festival de Cannes 2025. L’annonce de cette sélection est tombée le 15 avril. Le lendemain, Fatima était assassinée. Son dernier message au monde ? Une photo d’un coucher de soleil depuis sa fenêtre, accompagnée de ces mots : « C’est le premier coucher de soleil depuis longtemps. »
Fatima savait. Elle avait écrit son propre épitaphe : « Si je meurs, je veux une mort dont le monde entier entendra parler. Je veux une empreinte que ni le temps ni l’espace ne pourront enterrer. »
Ce vœu, aussi tragique que prophétique, est désormais exaucé. Mais à quel prix ?
Car au-delà de l’émotion, il faut nommer les choses. Ce meurtre n’est pas une bavure. Il s’inscrit dans une stratégie méthodique d’effacement : celle de réduire au silence les témoins, les artistes, les journalistes qui osent montrer la vérité crue du siège de Gaza.
Depuis octobre 2023, près de 200 journalistes palestiniens ont été tués. Aucun tribunal, aucun conseil de sécurité, aucune puissance occidentale n’a osé y voir un schéma. L’impunité est devenue doctrine.
Et pourtant, le lendemain de la mort de Fatima, un autre visage déchirant a envahi les écrans : celui de Mahmoud Ajjour, 9 ans, amputé des deux bras après une frappe israélienne. Sa photo, prise par la photographe palestinienne Samar Abu Elouf, a remporté le World Press Photo 2025. On y voit un enfant mutilé, aujourd’hui réfugié à Doha, regardant un monde qui l’a abandonné. La directrice du concours, Joumana El Zein Khoury, l’a dit clairement : « C’est une photo silencieuse, qui pourtant parle très fort. »
Comme les images de Fatima. Comme sa mort, qui hurle à nos consciences.
Il ne s’agit pas d’une guerre classique. Il s’agit d’une guerre contre la mémoire. Contre la preuve. Contre les regards qui dérangent. En tuant Fatima Hassouna, on n’a pas seulement détruit une maison. On a tenté d’effacer un peuple.
Mais son œuvre lui survit. Ses clichés parlent, dénoncent, accusent. Sa caméra, brisée mais invaincue, continue de filmer dans nos têtes. Et tant que ces images circuleront, la vérité ne sera pas ensevelie.
Fatima voulait une mort qui laisse une empreinte. Il nous appartient désormais de la rendre inoubliable.
Khaled Boulaziz