L’Algérie de l’Élite militaro-sécuritaire bradée et l’éxil de la jeunesse

L’Algérie se trouve à un moment charnière de son histoire. Autrefois symbole de la résistance anticoloniale et des aspirations économiques socialistes, le pays est aujourd’hui réduit à un terrain de jeu riche en ressources pour les puissances étrangères, bradé par une élite militaro-sécuritaire qui a consolidé son contrôle sur ses immenses richesses. Les récentes déclarations de l’emassadeur de l’Algérie aux U.S Sabri Boukadoum résument ce basculement dramatique : un pays qui a autrefois résisté à la domination impériale est désormais prêt à « discuter » de la cession de ses ressources stratégiques au plus offrant. Il est impératif d’explore comment la clique militaire au pouvoir facilite systématiquement l’expropriation des richesses nationales sous couvert de modernisation économique et d’investissements étrangers. Parallèlement, cette même gestion catastrophique du pays pousse sa jeunesse diplômée à l’exil, vidant l’Algérie de ses compétences et hypothéquant tout espoir de développement futur.

L’Élite militaro-sécuritaire : Les véritables dirigeants de l’Algérie

Depuis l’indépendance en 1962, le pouvoir est resté concentré entre les mains d’une coalition obscure d’officiers militaires et d’opérateurs du renseignement. Tandis que les présidents et les politiciens civils se succèdent, les véritables décisions sont toujours prises par cette élite, dont le contrôle sur l’appareil d’État lui permet de monopoliser les opportunités économiques et d’étouffer toute contestation. Cette oligarchie enracinée a historiquement justifié son emprise en invoquant un discours nationaliste, affirmant protéger l’Algérie contre la domination étrangère. Pourtant, cette même élite orchestre aujourd’hui la plus grande liquidation des actifs nationaux de l’histoire du pays.

Le passage d’un discours nationaliste à une soumission économique explicite est frappant. Les déclarations de Boukadoum reflètent une politique plus large qui privilégie les investissements étrangers rapides, souvent au détriment de la souveraineté nationale. En courtisant des géants pétroliers américains comme Chevron et en promettant des conditions avantageuses pour l’hébergement de centres de données, le régime algérien montre sa volonté de troquer la souveraineté contre des gains économiques à court terme. Ce qui n’est pas dit, c’est comment ces accords enrichiront la classe dirigeante tandis que la population continuera de subir le chômage, l’inflation et la détérioration des services publics.

Une jeunesse dépossédée : L’exode des cerveaux

Cette politique de spoliation économique ne se contente pas d’enrichir l’élite au détriment du peuple : elle entraîne aussi une catastrophe sociale et intellectuelle majeure. Une étude sociologique récente menée en 2024 par Zahir Hadibi, Yasmine Musette et Sonia Kherbachi a révélé une réalité alarmante : 75,9 % des étudiants algériens souhaitent émigrer dès l’obtention de leur diplôme universitaire, contre 51,9 % en 2017. Cette augmentation dramatique illustre l’échec du modèle économique actuel, qui prive la jeunesse de perspectives et pousse les esprits les plus brillants à chercher refuge ailleurs.

Les principales raisons avancées par ces étudiants sont :

  1. La précarité de l’emploi en Algérie, où le marché du travail est dominé par le clientélisme et le favoritisme au détriment du mérite.
  2. L’attractivité des opportunités professionnelles à l’étranger, où 94 % des étudiants perçoivent un avenir meilleur hors d’Algérie, contre seulement 36 % localement.
  3. Le rôle des réseaux familiaux dans la migration, révélant une structuration croissante de l’émigration algérienne.

L’université algérienne, autrefois un vecteur de promotion sociale et de modernisation, est désormais perçue comme une simple étape avant l’exil. Ce phénomène de fuite des cerveaux compromet l’avenir du pays, car il prive l’Algérie de ses forces vives et de son potentiel d’innovation.

Le piège des hydrocarbures : Brader l’avenir de la nation

L’économie algérienne reste massivement dépendante des hydrocarbures, le pétrole et le gaz représentant près de 95 % de ses exportations. Les gouvernements successifs ont promis une diversification, mais le pays continue de suivre le même modèle : attirer les entreprises étrangères avec des contrats lucratifs, leur permettant d’exploiter les ressources avec un minimum de réinvestissement local. L’annonce de Boukadoum selon laquelle Chevron sera le premier à explorer le pétrole offshore en Algérie illustre parfaitement cette logique extractiviste.

Bien que présentée comme un vecteur de croissance économique, cette politique ne fait que renforcer la dépendance au capital étranger. L’élite militaro-sécuritaire tire d’immenses profits de ces accords grâce à des réseaux financiers opaques, des comptes offshores et des intermédiaires sous contrôle. Pendant ce temps, les richesses générées ne se traduisent jamais en développement durable.

Une société en crise : Une double hémorragie économique et intellectuelle

L’association de cette politique extractiviste et de l’exode massif des compétences crée un cercle vicieux mortifère pour l’Algérie. D’un côté, les richesses naturelles sont accaparées par l’élite et les multinationales, et de l’autre, les ressources humaines les plus qualifiées quittent le pays en masse. Cela prive l’Algérie des éléments nécessaires à toute reconstruction économique viable.

L’absence de réformes structurelles en matière d’éducation, d’emploi et d’investissement dans les industries de pointe condamne le pays à une marginalisation accrue dans l’économie mondiale. Le départ massif des jeunes diplômés ne fait qu’accélérer ce déclin, transformant l’Algérie en simple fournisseur de matières premières et d’émigrés qualifiés.

Résistance et nécessité d’une alternative

Malgré cette sombre perspective, les Algériens ont maintes fois prouvé leur capacité à défier le statu quo. Le Hirak de 2019, qui a conduit à la démission du président Abdelaziz Bouteflika, a été un rejet clair de la mauvaise gouvernance de l’élite. Cependant, l’armée a rapidement repris le contrôle, récupérant la transition politique tout en maintenant son emprise sur le pouvoir. Le défi aujourd’hui est de transformer cette contestation populaire en un modèle économique alternatif qui privilégie les intérêts nationaux plutôt que l’enrichissement d’une caste dirigeante.

Pour reconquérir la souveraineté économique de l’Algérie, plusieurs mesures s’imposent :

  1. Une gouvernance transparente des ressources : les richesses nationales doivent être gérées avec une transparence totale et réinvesties dans le développement social et économique.
  2. Une diversification économique réelle : l’Algérie doit investir dans l’industrie, l’agriculture et la technologie pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures.
  3. Un encadrement strict des investissements étrangers : les partenariats doivent être conditionnés à un transfert de technologies, à la création d’emplois locaux et à des parts de propriété nationale.
  4. Une supervision démocratique : les politiques économiques doivent être soumises à un contrôle démocratique et non dictées par un appareil sécuritaire opaque.
  5. Une réforme profonde du système universitaire et du marché de l’emploi : il est impératif de créer des passerelles entre l’université et l’industrie pour retenir les talents algériens.

Un tournant pour l’Algérie

L’Algérie est à la croisée des chemins. L’élite militaro-sécuritaire, en pillant les ressources nationales et en asphyxiant les perspectives économiques, crée les conditions d’un exode massif de la jeunesse. Ce n’est pas seulement une crise économique, c’est un véritable suicide national orchestré par ceux qui prétendent diriger le pays.

L’avenir de l’Algérie dépendra de sa capacité à briser ce cycle de prédation et d’exode. Soit elle continue sur cette trajectoire, devenant une nation vidée de ses richesses et de ses talents, soit elle entreprend une refonte radicale de son système politique et économique pour récupérer sa souveraineté et offrir un avenir à sa jeunesse.

Khaled Boulaziz