De Villepin, un destin national pour une certaine idée de la France

Défendre encore et toujours une certaine idée de la France.

Dominique de Villepin – Panthéon Sorbonne – 05 mars 2025

Il est des figures qui semblent surgir des replis de l’Histoire, ciselées dans le marbre d’une grandeur surannée, et qui, malgré la modernité vorace, portent encore en elles l’écho des fulgurances gaulliennes. Dominique de Villepin appartient à cette caste d’hommes d’État dont la verve, l’élégance et l’inflexibilité rappellent les derniers feux d’une France qui rêvait encore de son indépendance et de sa hauteur. Dans un paysage politique marqué par l’atonie du verbe et la servitude consentie aux forces obscures de la finance apatride, il incarne, tel un paladin esseulé, la tentation de l’honneur face aux compromissions fatalistes.

Dans son discours du 5 mars 2025 à la Sorbonne, intitulé La Grande Accélération du Monde, de Villepin offre une réflexion magistrale sur les bouleversements contemporains qui façonnent la politique et l’histoire. Il décrit notre époque comme une succession effrénée de crises : pandémie, conflits internationaux, dérèglement climatique, résurgence des populismes et instabilité géopolitique. Face à ce tumulte, il exhorte à une hauteur républicaine, à un engagement lucide et intransigeant, afin que la France ne sombre pas dans l’insignifiance ou la soumission aux forces invisibles qui en régissent le destin.

Depuis le dévoiement de l’édit napoléonien du 17 mars 1808, qui tentait de borner l’influence des argentiers pernicieux dans l’économie de la nation, la République a peu à peu troqué ses principes fondateurs contre des allégeances silencieuses, pactisant dans les antichambres avec ces puissances de l’ombre qui dictent, sous couvert d’impératifs économiques, la ligne directrice de son avenir collectif. Bien que le suffrage universel a toujours faconné l’avenir de la France, une oligarchie insaisissable, tient en laisse sa politique et la contraint à des génuflexions humiliantes devant l’autel de la dette et des intérêts privés.

Dans cette valse oppressante, de Villepin convoque les figures tutélaires de Paul Celan et d’Albert Camus. Il évoque la nécessité d’une élévation de l’âme et du verbe, une fidélité à la vérité et à la justice. Face à l’impérialisme hybride qu’il dénonce – une alliance perverse entre expansionnisme et révolution idéologique –, il plaide pour une Europe qui assume ses responsabilités et refuse la vassalité. Il défend l’indépendance stratégique du continent et rappelle que la justice sociale ne peut être reléguée au second plan dans un monde en plein bouleversement.

C’est dans cet entrelacs de chaînes invisibles que Dominique de Villepin tente de faire entendre une autre musique. Dernier des Gaulliens, il se dresse contre les oukases d’une République devenue vassale et se forge, dans l’arène politique, un destin national à la mesure des grands fauves qui hantèrent jadis l’Assemblée. Son éloquence n’est pas une simple coquetterie, mais l’arme d’un combat plus vaste : celui d’une France qui refuse de s’abîmer dans l’indifférence, d’une France qui, loin de se diluer dans le cosmopolitisme politique dévoyé, entend encore imposer sa voix dans le concert des nations.

Ses prises de position, qu’elles concernent la Palestine martyrisée, les damnés de l’exil jetés sur les routes de l’exode ou la frénésie trumpienne qui électrise les peuples en quête d’identité, font de lui le héraut d’une France en quête de justice. Il incarne, pour ceux qui se refusent à la fatalité, un espoir que l’on croyait enseveli sous les décombres des renoncements successifs. Mais à quel prix peut-on encore rêver d’un monde plus juste quand l’Histoire semble écrite par d’autres mains ?

Les argentiers de la République, ceux qui, dans l’opacité des conseils d’administration et des cénacles discrets, manœuvrent la destinée du pays, consentiront-ils à laisser un de Villepin fougueux, incandescent dans le verbe et intransigeant dans l’acte, réaliser son destin national ? Il faut être d’une naïveté confondante pour croire que les maîtres du jeu de toujours laisseront sans réaction un tel sursaut d’orgueil national. À l’heure où la parole est corsetée, où l’ambition est domestiquée, où le destin même de la France se dilue dans l’abstraction d’une gouvernance sans visage, les résistances à une telle entreprise seront féroces.

Ainsi, Dominique de Villepin se retrouve à la croisée des chemins : celui d’une France qui fut et qui pourrait être encore, et celui d’une France soumise, avilie, sans volonté propre. Le combat est inégal, les forces adverses sont innombrables, mais peut-être suffit-il d’un sursaut, d’une parole de feu, pour rallumer la flamme vacillante de la souveraineté.

Il est un fait historique inaltérable : les civilisations meurent non sous les coups du destin, mais par la reddition de ceux qui auraient pu les défendre. De Villepin l’a compris, et c’est dans cette bataille qu’il engage le dernier acte de sa destinée nationale.

Khaled Boulaziz