Abane Ramdane et Ferhat Abbas : De l’espoir politique à la domination militaire

Abane décelait chez les colonels une tendance à l’exercice d’un pouvoir absolu : Ce sont, me dit-il, tous des assassins. Ils mènent une politique personnelle contraire à l’unité de la nation.

Ferhat Abbas

L’histoire du nationalisme algérien est marquée par une tension permanente entre la direction politique et la force militaire, un affrontement dont l’issue a laissé une empreinte indélébile sur l’Algérie contemporaine. Ce processus s’est cristallisé autour de figures centrales comme Abane Ramdane et Ferhat Abbas, dont la rencontre symbolise l’espoir d’une révolution guidée par des principes politiques avant que la logique militaire ne prenne irrémédiablement le dessus après l’assassinat d’Abane.

Les origines du nationalisme algérien et la prédilection politique

Avant le déclenchement de la guerre de libération en 1954, le mouvement nationaliste algérien était porté par des figures comme Ferhat Abbas, Messali Hadj et les militants du PPA-MTLD (Parti du Peuple Algérien – Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) (Harbi, 1980). Ces leaders incarnaient différentes approches de la lutte : tandis que Messali Hadj et les partisans du PPA préconisaient une mobilisation de masse, Ferhat Abbas plaidait pour une transition politique graduelle, sans rupture brutale avec la France (Tlemçani, 1989).

Cependant, la guerre d’Algérie a révélé la nécessité d’une unification des forces nationalistes sous l’égide du Front de Libération Nationale (FLN), qui s’imposa comme l’unique organisation révolutionnaire (Ageron, 1991). C’est dans ce contexte que s’illustre Abane Ramdane, un stratège politique qui envisageait une révolution placée sous le primat du politique, où les civils domineraient les militaires.

La rencontre entre Abane Ramdane et Ferhat Abbas : un espoir avorté

En 1955, Abane Ramdane cherche à rallier les figures du nationalisme politique à la cause du FLN. Son objectif est double : renforcer la reconnaissance internationale du mouvement et assurer la prépondérance des civils dans l’organisation de la révolution. C’est dans ce cadre qu’il rencontre Ferhat Abbas, dont le ralliement au FLN en 1956 représente un moment crucial (Harbi, 1980).

Abane, convaincu que la révolution devait être dirigée par des intellectuels et des hommes politiques, joue un rôle fondamental dans l’organisation du Congrès de la Soummam (août 1956), qui pose les principes d’une guerre nationale où le politique devait primer sur le militaire (Evans & Phillips, 2007). Ferhat Abbas, bien que plus modéré dans ses positions, adhère à cette vision qui exclut une dictature des maquisards au profit d’un État civil moderne.

Mais cette tentative de structuration politique rencontre une opposition farouche au sein du FLN, notamment chez les chefs militaires des maquis extérieurs (basés en Tunisie et au Maroc), qui voient dans l’affirmation des politiques une menace à leur pouvoir (Tlemçani, 1989).

L’assassinat d’Abane et la confiscation du pouvoir par les militaires

La montée en puissance des chefs militaires, comme Houari Boumediene et ses alliés, transforme progressivement la dynamique interne du FLN. Les stratégies préconisées par Abane Ramdane suscitent la méfiance des commandants de l’Armée des Frontières, qui considèrent la suprématie politique comme une menace directe à leur ambition (Aït-Ahmed, 1983).

En décembre 1957, Abane Ramdane est attiré à Tétouan (Maroc) sous prétexte d’une réunion. Il est assassiné par ses propres compagnons de lutte, marquant ainsi la fin de la primauté politique dans la révolution algérienne. Cet événement consacre la domination militaire au sein du FLN et préfigure la mainmise des militaires sur l’État algérien après l’indépendance (Harbi, 1980).

Un pouvoir militaire qui perdure

L’assassinat d’Abane ouvre la voie à une évolution du FLN où les chefs militaires prennent le contrôle de la lutte pour l’indépendance, puis du pays lui-même. En 1962, l’Algérie accède à l’indépendance dans un climat de tensions internes, qui opposent l’Armée des Frontières dirigée par Boumediene à la direction politique du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) incarnée par Ben Khedda et Ferhat Abbas (Ageron, 1991).

Dès l’indépendance, l’armée impose son pouvoir en écartant les politiques civils. Boumediene orchestre un coup d’État en 1965 contre Ben Bella et instaure un régime militaire qui ne sera jamais remis en question (Evans & Phillips, 2007). Depuis, le pouvoir en Algérie reste sous le contrôle d’une caste militaire qui gouverne en coulisses, marginalisant toute opposition civile et étouffant les tentatives de démocratisation.

Droit de regard

Le parcours du nationalisme algérien, de ses premières luttes jusqu’à aujourd’hui, est marqué par une rupture fondamentale : celle du basculement du pouvoir des politiques vers les militaires. La rencontre entre Abane Ramdane et Ferhat Abbas symbolise l’ultime espoir d’une révolution dirigée par des principes civils. Son échec et l’assassinat d’Abane ont ouvert la voie à une hégémonie militaire qui se perpétue encore aujourd’hui, rendant toute alternative politique véritablement autonome difficilement envisageable en Algérie (Tlemçani, 1989).

Ce droit de regard des militaires sur le peuple algérien laisse transparaître une obsession maladive de tout contrôler et régenter les hommes et femmes que Dieu a créés libres.

Khaled Boulaziz