Le jacobinisme, doctrine politique issue de la Révolution française, prône un État centralisé, une administration uniforme et l’universalité des lois, sans prise en compte des particularismes locaux. Fondé sur l’idée d’une souveraineté indivisible et d’une égalité théorique des citoyens devant la loi, il vise à homogénéiser la société sous l’autorité d’un pouvoir central fort.
L’application de ces principes en Algérie découle de plusieurs facteurs historiques, idéologiques et stratégiques, qui distinguent la colonisation de l’Algérie de celle du Maroc. Alors que l’Algérie fut intégrée comme une extension du territoire français, soumise à une administration centralisée et à une politique d’assimilation forcée, le Maroc, sous Lyautey, bénéficia d’une approche plus pragmatique reposant sur le maintien des structures traditionnelles locales.
1. Une colonisation de peuplement et non un simple protectorat
L’Algérie, conquise à partir de 1830, a rapidement été perçue par la France comme une extension du territoire métropolitain. Dès 1848, elle fut divisée en départements français (Alger, Oran et Constantine), ce qui impliquait l’application des principes administratifs de la métropole.
- La colonisation de peuplement nécessitait une réorganisation complète du territoire pour accueillir les colons européens (Français, Espagnols, Italiens, Maltais).
- Les terres furent massivement confisquées aux Algériens musulmans pour être redistribuées aux colons, ce qui impliquait une réorganisation foncière conforme aux principes juridiques français.
- L’administration devait être centralisée pour maintenir un contrôle strict et garantir la domination des colons.
2. L’idéologie républicaine et l’assimilation forcée
Les principes jacobins reposent sur l’idée d’un État centralisé et d’une citoyenneté uniforme. Or, en Algérie, cette idéologie servait un double objectif :
- Justifier la domination française en imposant un modèle unique où la culture, la langue et les institutions françaises étaient les seules légitimes.
- Supprimer les structures politiques, sociales et juridiques locales, notamment la justice islamique et les institutions traditionnelles.
- Transformer progressivement les populations autochtones en « citoyens français » — mais sans jamais leur accorder les mêmes droits que les colons européens (ce qui révélait les contradictions du jacobinisme colonial).
3. La destruction des institutions autochtones
Contrairement au Maroc, où Lyautey voulait s’appuyer sur les structures traditionnelles (makhzen, caïds, confréries), la France a choisi en Algérie de les démanteler pour éviter toute forme de pouvoir concurrent. Cela se traduisit par :
- L’abolition des structures politiques locales (beyliks, tribus, administration ottomane).
- La suppression de la justice musulmane au profit des tribunaux français.
- L’interdiction progressive de la langue arabe et l’imposition du français comme seule langue officielle.
4. Une stratégie de domination brutale
Le choix du modèle jacobin en Algérie s’explique aussi par la violence de la conquête. La colonisation s’est accompagnée de guerres féroces (massacres, déportations, répressions des insurrections). Pour maintenir l’ordre, la France a imposé un cadre administratif autoritaire et centralisé, garantissant que toute opposition serait rapidement réprimée.
5. L’influence des colons et des intérêts économiques
Les colons européens installés en Algérie avaient un poids politique considérable et exigeaient un modèle d’administration qui garantisse leurs privilèges. En imposant un système jacobin, la France renforçait la domination de cette minorité sur la population autochtone :
- Économie : Les ressources algériennes étaient exploitées au profit de la France et des colons, nécessitant une administration efficace et centralisée.
- Statut juridique : Le Code de l’Indigénat (imposé en 1881) était en totale contradiction avec les principes républicains d’égalité, mais permettait de maintenir un régime d’exception où les Algériens étaient des « sujets français » sans droits réels.
Pourquoi ce modèle n’a-t-il pas été appliqué au Maroc ?
- Différence de statut : L’Algérie était une colonie de peuplement, tandis que le Maroc restait un protectorat où la France ne prétendait pas remplacer les élites locales.
- Contexte tardif de la colonisation : En 1912, lorsque la France établit son protectorat au Maroc, les idées sur la gestion coloniale avaient évolué, et Lyautey privilégiait une approche plus pragmatique et moins brutale.
- Moins de colons européens : Le Maroc comptait beaucoup moins de colons français qu’en Algérie, ce qui réduisait la pression pour une administration centralisée et homogène.
Conclusion
L’application des principes jacobins en Algérie s’explique par le choix d’une colonisation d’annexion et de peuplement, où la France voulait imposer son modèle sans compromis. En revanche, au Maroc, Lyautey adopta une approche plus souple, préférant utiliser les structures existantes pour asseoir la domination française. Ces différences expliquent pourquoi l’Algérie fut considérée comme une « province française » tandis que le Maroc resta un « protectorat », avec des méthodes coloniales radicalement différentes.
Khaled Boulaziz