Défendre l’État n’est pas défendre la junte : Lettre aux journalistes complaisants

Il y a une habitude tenace dans la presse aux ordres : confondre l’État algérien avec la caste militaire qui le vampirise depuis l’indépendance. Une paresse intellectuelle ? Une compromission délibérée ? Peu importe : cette confusion sert une oligarchie qui se maintient par la force et la ruse, tout en prétendant incarner une nation qu’elle étouffe.

L’État kidnappé par une caste
Un État est une structure qui survit aux hommes et aux régimes, un cadre destiné à organiser la vie collective et garantir l’intérêt général. Mais en Algérie, l’armée s’est accaparé cet État comme une propriété privée, transformant ses institutions en annexes d’un régime de prédation. La justice n’est plus qu’un bras armé pour neutraliser les dissidents, l’administration un réseau de clientélisme, l’économie un terrain de pillage pour les généraux et leurs affidés. Toute critique de ce système est aussitôt assimilée à un complot, toute revendication populaire à une tentative de déstabilisation orchestrée de l’étranger.

Les journalistes devraient être les premiers à dénoncer cette escroquerie. Mais au lieu de cela, on assiste à un concert d’adhésion servile : éditoriaux dégoulinants de patriotisme frelaté, tribunes dénonçant des « ennemis de l’intérieur » dès qu’une voix discordante s’élève, et une rhétorique usée jusqu’à la corde sur la nécessité de « préserver la stabilité » face aux dangers imaginaires.

Les sentinelles du mensonge
Combien de ces scribes officiels ont dénoncé la manière dont l’appareil d’État a été confisqué par une junte qui n’a de légitimité que celle des baïonnettes ? Qui ose rappeler que la souveraineté populaire a été dissoute dans un système où la seule voix qui compte est celle du chef d’état-major ? Rarement on entend ces journalistes rappeler que l’État n’est pas un butin de guerre, qu’il ne se réduit pas aux caprices d’une caste militaire en mal de reconnaissance.

Au contraire, la propagande tourne à plein régime : toute opposition est qualifiée de « traîtrise », toute critique du pouvoir est assimilée à une menace existentielle, et toute contestation est criminalisée sous prétexte de lutter contre l’anarchie. C’est la vieille recette des régimes en déclin, ceux qui, n’ayant plus rien à offrir, ne survivent qu’en fabriquant la peur.

Un État ne se défend pas en servant ses bourreaux
Les journalistes qui participent à cette mystification ne sont pas de simples instruments du régime : ils en sont les piliers. En validant l’idée que critiquer la junte, c’est attaquer l’État, ils offrent une caution morale à une oligarchie qui n’en a aucune. Ils empêchent l’émergence d’un véritable débat national en verrouillant la parole publique, permettant ainsi à une minorité accapareuse de prolonger son règne sur les ruines d’une nation qu’elle prétend protéger.

Défendre l’État, c’est œuvrer à sa libération de ceux qui le dévorent. C’est refuser qu’il soit un simple paravent pour une clique, c’est exiger qu’il serve enfin ceux à qui il appartient : les citoyens. Quant à ceux qui persistent à légitimer l’usurpation, qu’ils sachent que l’histoire leur réservera la place qu’ils méritent : celle des scribouillards du déclin, des porte-voix de la servitude.

Cette querelle avec la France n’engage en rien le peuple algérien dans son ensemble. Elle n’est que le théâtre d’ombres d’une junte fébrile, retranchée derrière ses certitudes vacillantes. Ceux qui vocifèrent, qui brandissent l’étendard de la souveraineté offensée, ne défendent ni la dignité nationale ni les intérêts de l’Algérie, mais seulement la survie de leurs maîtres. Leur agitation n’est pas celle d’un pays debout, mais celle de serviteurs aux abois, prêts à tout pour préserver les privilèges d’une caste qui a fait de la nation son dernier rempart et de l’État son butin.

Khaled Boulaziz