L’Occident : La tutelle politique comme reflet de la suprématie philosophique

Le philosophe britanno-américain Bernard Lewis percevait les Arabes et les musulmans comme des composantes religieuses et ethniques intrinsèquement corrompues, chaotiques et incapables de civilisation. Selon lui, laissées à elles-mêmes, ces populations envahiraient l’Europe et l’Amérique, menaçant de détruire la civilisation occidentale. Pour contrer ce danger, Lewis préconisait de frapper et d’occuper leurs terres afin de les « former » aux pratiques démocratiques et d’éliminer leurs « croyances islamiques corrompues, » qu’il considérait comme des obstacles à leur progrès.

Ces idées n’étaient pas propres à Lewis. De nombreux orientalistes avant lui, comme l’a souligné Edward Saïd, avaient élaboré leurs théories en se basant sur des « concepts occidentaux de l’Orient, » enracinés dans des notions de supériorité raciale et culturelle. Cette vision attribuait au « citoyen occidental capable » le droit de superviser et de dominer « l’Oriental incapable. »

En 1945, les Nations Unies ont mis en place un système de tutelle pour gérer les territoires sous mandat de la Société des Nations, ainsi que d’autres régions nécessitant une supervision politique, économique et sociale. Bien que ces arrangements aient été présentés comme des outils destinés à préparer les nations à l’autogouvernance, ils ont souvent servi de mécanismes de contrôle déguisés sous des termes valorisants. Les pays sous de tels systèmes étaient déclarés « indépendants, » mais étiquetés comme « protectorats, » dissimulant ainsi la domination sur leurs ressources et leurs destinées.

La définition théorique de la protection suggérait qu’une autorité locale gouvernait sous l’égide d’une force militaire étrangère, qui, en théorie, ne devait pas intervenir dans les affaires internes. En réalité, les puissances étrangères exerçaient un contrôle considérable. Les mandats et les tutelles, présentés comme des mesures temporaires, se sont transformés en systèmes de domination prolongée. Bien que l’ONU ait officiellement mis fin à sa dernière tutelle en 1994 avec les îles Palaos, l’héritage de ces arrangements persiste. Ces systèmes, conçus pour servir les intérêts des puissants, masquaient l’exploitation et l’hégémonie sous le couvert de la défense des valeurs et des normes internationales. Cette contradiction a engendré une hypocrisie flagrante, permettant aux puissants de poursuivre leur domination tout en projetant une image d’humanité, de justice et de liberté. L’occupation a ainsi été renommée « protection, » et le contrôle a été rebaptisé « tutelle. »

Cette tutelle suprémaciste demeure profondément enracinée dans la pensée politique et philosophique occidentale, où la supervision politique reflète souvent des doctrines philosophiques sous-jacentes reposant sur la pureté raciale et la supériorité culturelle.

Les concepts de mandats, de protection et de tutelle révèlent une mentalité coloniale qui a déguisé ses intentions d’exploitation sous des cadres éthiques et juridiques. Ces systèmes ont permis aux puissances coloniales occidentales de piller les ressources sous prétexte de développer les nations et d’occuper les terres sous le prétexte de protéger leurs peuples. Cette histoire est encore fraîche dans la mémoire de ceux qui en ont été témoins.

Loin d’être des idées politiques abstraites, la protection, les mandats et les tutelles trouvent leurs racines dans des traditions philosophiques profondes qui continuent de façonner les perspectives occidentales sur « l’autre oriental. » Malgré les transformations intellectuelles, scientifiques et culturelles majeures du XXe et du début du XXIe siècle, la vision orientaliste traditionnelle – soulignant le fossé immense entre l’Orient et l’Occident – persiste. Le poète anglais Rudyard Kipling a capturé cette mentalité en déclarant : « L’Orient est l’Orient, et l’Occident est l’Occident, et jamais les deux ne se rencontreront. » Cette perspective présente l’Orient comme un enfant dépendant, ayant besoin de l’Occident comme d’un tuteur pour le guider vers une maturité intellectuelle et émotionnelle.

Le problème fondamental de ces systèmes réside dans leur prémisse : certaines populations seraient incapables de s’autogouverner et devraient confier leurs affaires politiques, économiques et sociales à des puissances étrangères jusqu’à ce qu’elles atteignent la « maturité. » Avec le temps, ces soi-disant « tuteurs » ont abandonné leur prétention de bienfaisance pour devenir des forces occupantes, réprimant les mouvements de libération dans les territoires qu’ils prétendaient superviser. Leur véritable objectif n’a jamais été la tutelle ou la protection ; ces concepts n’étaient que des outils d’exploitation et de pillage des ressources.

Les fondements théoriques des mandats, de la protection et de la tutelle sont erronés, car ils reposent sur des présupposés racistes, selon lesquels certaines races seraient intrinsèquement plus avancées que d’autres. Pourtant, les différences entre nations et peuples ne sont pas dues à des caractéristiques génétiques, mais plutôt aux circonstances politiques, économiques, historiques, géographiques et culturelles.

Cette vision suprémaciste ne peut être dissociée de l’héritage religieux et philosophique de l’Occident. Le christianisme et le judaïsme, ainsi que la philosophie grecque antique, ont profondément influencé la pensée occidentale. Bien que ces traditions contiennent des éléments d’humanisme, elles renferment également des préjugés raciaux profondément enracinés et des justifications mêlant religion et rationalité. Ces idées ont imprégné la pensée orientaliste contemporaine, qui, à son tour, a influencé les cadres politiques et idéologiques occidentaux, perpétuant une vision de « l’autre » comme un barbare non civilisé. Les peuples d’Asie et d’Afrique, en particulier, ont été qualifiés de « sauvages » dans une perspective occidentale qui considère ses propres valeurs comme universelles et ses standards comme les seuls critères d’évaluation des comportements et des moralités.

Cette tutelle arrogante persiste, avec des objectifs précis, dans les sphères philosophiques et politiques occidentales. La tutelle politique reste un reflet de la tutelle philosophique, basée sur deux piliers : la pureté raciale et la supériorité culturelle. Cela se manifeste dans les discours des politiciens occidentaux en visite dans des pays orientaux, où ils insistent sur le respect des droits et des libertés. Bien que ces revendications soient légitimes, elles sont souvent utilisées comme des outils sélectifs et opportunistes pour servir les intérêts occidentaux, et non pour défendre des causes justes. Le philosophe algérien Malek Bennabi a bien résumé cette hypocrisie en disant : « L’Occident n’exporte pas ses valeurs au-delà de ses frontières. » En effet, l’Occident abandonne ses principes dès qu’ils entrent en conflit avec ses intérêts.

En fin de compte, la tutelle politique demeure une manifestation de l’arrogance philosophique, fondée sur des notions de pureté raciale et de supériorité culturelle. Cette hypocrisie continue d’alimenter des systèmes de domination, perpétuant l’exploitation des nations les plus faibles sous le prétexte de préoccupations morales et humanitaires.

Khaled Boulaziz