L’Algérie, une nation née des cendres de la domination coloniale en 1962, était envisagée comme un phare de liberté et d’autodétermination. Pourtant, dès sa naissance, le pays a été sous le contrôle d’une junte militaire qui opère derrière le vernis d’un gouvernement civil. Cette réalité a jeté une ombre épaisse sur l’histoire de la nation, influençant sa politique, son économie et sa société. Parmi les conséquences les plus tragiques de ce régime figure l’exode de millions d’Algériens, fuyant la répression, la corruption et la stagnation. Aujourd’hui, alors que la junte appelle au retour de cette diaspora, il est évident que de telles demandes sont fondamentalement erronées. Le retour de la diaspora algérienne n’est pas seulement improbable, mais impossible sous le régime actuel, car les échecs systémiques du pays restent profondément enracinés.
L’héritage de la junte
Depuis 1962, l’Algérie a été dominée par une caste militaire qui s’est enracinée au pouvoir, utilisant la répression et la manipulation pour maintenir son contrôle. Bien que des élections soient organisées pour projeter une image de démocratie, elles ne sont guère plus que des spectacles orchestrés. Le véritable pouvoir réside entre les mains des élites militaires et de leurs réseaux proches, qui dictent les politiques dans l’ombre. Ce système a étouffé le pluralisme politique, réprimé les libertés civiles et transformé la gouvernance en un exercice d’auto-préservation pour la classe dirigeante.
L’épisode le plus dévastateur de cet héritage est la décennie noire des années 1990, une guerre civile déclenchée par l’annulation des élections démocratiques par les militaires. Au cours de cette période, environ 300 000 Algériens ont perdu la vie et d’innombrables autres ont été déplacés. La violence et les traumatismes de cette époque ont créé une rupture permanente entre l’État et ses citoyens. Pour de nombreux Algériens, fuir le pays n’était pas un choix mais une nécessité. La formation de la diaspora trouve ses racines dans cette histoire de violence et de trahison.
Un environnement politique et social étouffant
L’Algérie d’aujourd’hui reste une nation où les libertés sont restreintes et où la dissidence est sanctionnée. Le régime a systématiquement augmenté la censure, ciblant journalistes, activistes et simples citoyens osant exprimer leurs opinions. Les réseaux sociaux, autrefois une plateforme pour exprimer la dissidence, sont devenus un terrain de chasse pour les autorités, qui détiennent des individus pour de simples remarques. L’atmosphère étouffante s’étend à tous les aspects de la vie, y compris l’économie, où la corruption et le népotisme règnent en maîtres.
Pour les membres de la diaspora, nombreux à avoir fait l’expérience des libertés et des opportunités offertes par les sociétés démocratiques, la perspective de revenir dans un tel environnement est intenable. L’absence de liberté d’expression et de pensée, combinée à l’absence de l’État de droit, fait de l’Algérie un lieu hostile pour ceux habitués à vivre dans des sociétés ouvertes et équitables.
Mauvaise gestion économique et climat des affaires
Le paysage économique en Algérie aggrave encore l’impossibilité du retour. Malgré ses vastes ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz, l’économie algérienne reste fortement dépendante des revenus des hydrocarbures, avec peu de diversification. Les régimes successifs ont échoué à construire un modèle économique durable, gaspillant les richesses dans des réseaux de clientélisme et des entreprises publiques inefficaces.
Pour la diaspora, nombreux à posséder des ressources financières importantes et des compétences entrepreneuriales, l’environnement économique algérien est profondément peu attractif. Le climat des affaires est marqué par des réglementations opaques, une corruption endémique et un système judiciaire imprévisible. Les investissements sont souvent soumis aux caprices des élites puissantes, rendant presque impossible de fonctionner avec intégrité et sécurité. Tant que ces problèmes systémiques ne seront pas résolus, la diaspora n’aura aucun intérêt à apporter son expertise et son capital à l’Algérie.
L’appel contradictoire de la junte
Ces dernières années, la junte a intensifié ses efforts pour courtiser la diaspora, présentant leur retour comme un devoir patriotique et une étape nécessaire au développement national. Pourtant, cet appel est truffé de contradictions. D’une part, le régime cherche à tirer parti de la richesse et des compétences de la diaspora ; d’autre part, il continue à perpétuer les conditions mêmes qui les ont poussés à partir. Les appels du gouvernement à la réconciliation sonnent creux lorsqu’ils s’accompagnent de répression et d’autoritarisme dans le pays.
L’hypocrisie du régime est encore soulignée par son incapacité à s’attaquer aux causes profondes de l’émigration. Les Algériens n’ont pas quitté leur patrie uniquement en quête de meilleures opportunités économiques ; ils ont fui un système qui leur refusait la dignité, la justice et l’espoir. Le retour de la diaspora ne peut pas être réalisé par des discours creux ou des gestes symboliques. Il nécessite une transformation complète du système politique et économique—une perspective que la junte refuse d’envisager.
La distance psychologique et émotionnelle
Au-delà des obstacles politiques et économiques, il existe une distance psychologique et émotionnelle profonde qui sépare la diaspora de l’Algérie. Pour beaucoup, la décision de partir s’accompagnait de profonds sentiments de perte et de trahison. La répression continue du régime ne fait que renforcer ces sentiments, rendant difficile pour les Algériens exilés d’envisager un avenir dans leur pays d’origine.
Ce fossé émotionnel est encore accentué par les expériences des jeunes générations nées et élevées à l’étranger. Bien qu’elles puissent conserver un sentiment d’identité culturelle et d’attachement à l’Algérie, leur compréhension du pays est souvent façonnée par les récits de difficultés et d’oppression transmis par leurs parents. Pour elles, l’Algérie n’est pas une terre d’opportunités mais un lieu défini par la lutte et la désillusion.
Le chemin à suivre
L’impossibilité du retour de la diaspora ne reflète pas leur manque de patriotisme ou d’amour pour leur patrie. Elle témoigne plutôt des échecs du régime en place. Un véritable changement en Algérie nécessite le démantèlement des structures de répression et de corruption qui ont étouffé la nation pendant des décennies. Il faut construire des institutions qui respectent l’État de droit, protègent les libertés et promeuvent la transparence et la responsabilité.
De plus, la réconciliation avec la diaspora exige des efforts sincères pour réparer les injustices passées et créer un environnement où les Algériens, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, peuvent prospérer. Cela inclut l’octroi d’une amnistie aux exilés politiques, la garantie de la liberté d’expression et la promotion d’un dialogue national inclusif. Sans ces mesures, les appels de la junte continueront de tomber dans l’oreille d’un sourd.
Conclusion
Le retour de la diaspora algérienne dans leur patrie est un objectif noble et souhaitable, mais il reste impossible sous le régime actuel. La mainmise de la junte militaire sur le pouvoir a créé une nation où les libertés sont réprimées, les opportunités rares et l’espoir étouffé. Pour la diaspora, revenir à une telle réalité est impensable.
L’avenir de l’Algérie dépend de sa capacité à se libérer des entraves de l’autoritarisme et à construire une société qui valorise ses citoyens, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’étranger. Ce n’est qu’à ce moment-là que le rêve d’une Algérie réunie, enrichie par les contributions de sa diaspora, pourra devenir une réalité. Jusque-là, cet impossible retour restera un douloureux rappel de l’héritage d’échec de la junte.
Khaled Boulaziz