Les origines du « Système » Algérien : Une tragédie fondatrice

Depuis le coup d’État contre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), une caste militariste dirige le pays, le maintenant dans un état perpétuel d’autoritarisme. Cette caste enracinée, composée de hauts responsables militaires et de leurs alliés, a toujours privilégié sa survie aux besoins du peuple algérien. L’Algérie se trouve aujourd’hui à un carrefour où toutes les solutions pertinentes pointent vers une seule et unique possibilité : la prise de pouvoir par des civils, comme l’avaient préconisé Abane Ramdane et Ben M’hidi en 1956. Leur vision, qui appelait à la suprématie civile sur l’autorité militaire pour assurer la souveraineté et la démocratie de l’Algérie, reste aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était pendant la lutte pour l’indépendance.

Ce coup d’État initial s’est transformé en un coup d’État permanent contre la nation algérienne. En détournant les idéaux de la révolution de Novembre 1954, le régime militariste a non seulement usurpé la représentation du peuple, mais a également consolidé un système oppressif qui étouffe toute tentative de transition démocratique et civile. Ce déni continu de la souveraineté populaire constitue une trahison des sacrifices consentis par ceux qui ont lutté pour l’indépendance du pays.

Depuis l’indépendance, l’armée a bénéficié de largesses financières inégalées, consolidant son rôle hégémonique au sein de l’État. Le plus extravagant est le volet financier alloué à la défense nationale,dans la nouvelle loi de finances qui atteint 25 milliards de dollars, une augmentation constante et significative par rapport aux années précédentes. Cette explosion budgétaire reflète une militarisation excessive et systématique, qui privilégie les intérêts de la caste militaire au détriment des besoins fondamentaux de la population.

Pendant ce temps, les autres secteurs essentiels, en particulier l’éducation, voient leurs allocations réduites au strict minimum. Cette disproportion criante dans la répartition des ressources traduit une politique qui sacrifie l’avenir du pays – incarné par ses enfants – sur l’autel de la survie d’un régime militaro-autocratique. La santé, tout aussi négligée, souffre des mêmes choix stratégiques désastreux, exacerbant les inégalités sociales et compromettant le bien-être des citoyens.

Mais, cette militarisation s’accélère davantage avec le dernier décret, qui autorise désormais les militaires en exercice à occuper des postes civils dans les grandes sociétés nationales. Cette mesure, qui fusionne encore plus les sphères militaires et civiles, marque une étape supplémentaire dans la militarisation de la société algérienne. En plaçant des militaires actifs dans des fonctions civiles stratégiques, le régime renforce son emprise sur l’économie et l’administration publique, marginalisant encore davantage les acteurs civils et indépendants

En 2025, l’Algérie devra prendre des décisions économiquement vitales mais politiquement explosives. Le problème insoluble auquel fait face le Système , en pleine croissance démographique, est qu’incapable de produire de quoi vêtir, soigner, équiper et nourrir sa population, l’Algérie doit tout acheter à l’étranger.

En Algérie, où il sera bientôt plus facile de compter les officiers supérieurs qui n’ont pas été emprisonnés (dix généraux-majors, soixante généraux et quatre-vingt-cinq colonels), l’année 2024 a une fois de plus été marquée par l’immobilisme. Au lieu d’entreprendre les réformes vitales qu’exige la situation économique et sociale du pays, la cabale d’Alger – une nébuleuse qui enchevêtre le haut commandement militaire, le complexe militaro-pétrolier, la direction de l’islam national, les chefs des partis et des institutions publiques, ainsi que les juges. Au cœur de ce Système se trouve l’Organisation nationale des moudjahidines (ONM), une association d’anciens résistants. Selon l’ancien ministre Abdeslam Ali Rachidi, tout le monde sait que 90 % de ces soi-disant anciens combattants sont des faux. (El Watan, 12 décembre 2015).

Politiquement, le Système s’est piégé lui-même en réélisant le président Abdelmadjid Tebboune avec 94,65 % des voix. Avec une abstention atteignant au moins 85 %, le Système a perdu le peu de légitimité qui lui restait, apparaissant plus que jamais déconnecté de la population.

Économiquement, le Système fait face à une épée de Damoclès en raison de la dépendance totale de l’Algérie aux hydrocarbures et à la volatilité de leurs prix. Le pétrole et le gaz représentent en moyenne 95 à 98 % des exportations et environ 75 % des recettes budgétaires. L’Algérie, n’ayant pas retenu les leçons des crises de 1986, 1990 et 1994, n’a toujours pas significativement diversifié son économie.

Enfermée dans une monoproduction d’hydrocarbures, les volumes exportables devraient diminuer en raison de l’augmentation de la consommation intérieure et de l’épuisement progressif des gisements, malgré les annonces de nouvelles découvertes. Pendant ce temps, l’Algérie doit répondre aux besoins élémentaires d’une population en forte augmentation. En janvier 2024, le pays comptait ainsi 46,7 millions d’habitants (contre 12 millions en 1962), avec un taux d’accroissement annuel de 2,15 % et près de 900 000 naissances chaque année.

Au lieu de se pencher sur les causes des échecs diplomatiques algériens, notamment celui de la politique saharienne, les dirigeants d’Alger restent figés dans leur soutien aveugle au Polisario. Ce mouvement, ayant compris que son combat pour la création d’un État sahraoui est perdu, a diversifié ses activités en se spécialisant dans les trafics illicites.

En 2024, un quart des revenus tirés des hydrocarbures a été consacré à l’importation de produits alimentaires de base – des produits que l’Algérie exportait avant 1962.

L’étreinte de fer de la caste militariste, octogénaire et figée dans un paradigme obsessionnel du tout sécuritaire, a plongé l’Algérie dans une torpeur accablante, incapable de briser les chaînes de ses crises urgentes, qu’il s’agisse de l’asphyxie économique ou de l’isolement diplomatique croissant. Cette caste sénescente, drapée dans les oripeaux d’un nationalisme trahi, continue de gouverner avec des réflexes anachroniques, réduisant la nation à une forteresse assiégée et étouffant les élans vitaux de son peuple.

Ferhat Abbas l’avait pourtant prédit avec une lucidité tragique : « Nous avons libéré le pays, mais pas l’homme. » Cette vérité résonne aujourd’hui avec une acuité douloureuse, car l’Algérie reste prisonnière d’un système qui a sacrifié la liberté de ses citoyens sur l’autel de sa propre survie.

Seul un retour audacieux aux principes sublimes énoncés par Abane Ramdane et Ben M’hidi en 1956 – ce credo sacré de la primauté civile et du rejet de la tyrannie militaire – pourrait offrir une issue salutaire à cette Algérie embourbée.

C’est dans cet éclat de vérité que se dessine la promesse d’un renouveau, d’une patrie réconciliée avec les rêves de son peuple. Mais plus encore, c’est la jeunesse, cette vigoureuse marée d’espoir, qui élève son chant d’aspiration. Elle appelle à un pays où l’air est doux, où l’avenir est radieux, où il fait enfin bon vivre, loin des ombres étouffantes d’une domination usée et des stratégies dépassées d’un régime incapable de penser au-delà du prisme de la sécurité omniprésente.

Khaled Boulaziz