Les Échos du croissant : Une tapisserie de la fascination Allemande pour l’Islam

« Les Échos du Croissant : Une Tapisserie Baroque de la Fascination Allemande pour l’Islam, de l’Orient de Goethe à l’Empire Ottoman de Wilhelm »

L’intérêt pour l’Islam en Allemagne : De la période romantique au règne de Wilhelm II et au-delà

La relation entre l’Allemagne et l’Islam a été complexe et en constante évolution, marquée par des intérêts philosophiques, culturels, politiques et religieux. Depuis la période romantique, qui comprenait les œuvres de figures éminentes comme Johann Wolfgang von Goethe, jusqu’au règne de l’empereur Guillaume II, l’engagement de l’Allemagne envers l’Islam a reflété à la fois une curiosité intellectuelle et des considérations stratégiques. La fascination pour l’Orient, englobant à la fois le Proche et le Moyen-Orient, a joué un rôle clé dans la formation des paysages culturel et politique allemands, et son écho se fera sentir jusqu’au 20e siècle. De plus, l’acceptation des réfugiés syriens en Allemagne ces dernières années ajoute une couche intéressante à cette fascination historique pour le monde islamique, contribuant à une compréhension plus profonde de l’Islam dans la société allemande contemporaine.

1. L’Islam à l’époque romantique : Goethe et l’intérêt allemand pour l’Orient

À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, l’Europe a vu grandir une fascination pour l’« Orient », un terme utilisé pour décrire les régions culturelles et géographiques du monde islamique. La période romantique en particulier, avec son accent sur l’exotisme, le sublime et le mystique, a trouvé un terreau fertile pour l’exploration des thèmes islamiques. L’une des figures les plus notables à s’intéresser à l’Islam à cette époque fut Johann Wolfgang von Goethe, l’un des écrivains les plus estimés d’Allemagne.

L’intérêt de Goethe pour l’Islam était multifacette. Il était profondément attiré par le poète persan Hafez, dont il admirait la lyrique et la profondeur spirituelle. L’œuvre de Goethe, West-östlicher Divan (Le Divan occidental-oriental), publiée en 1819, reflète cet engagement profond envers la pensée orientale. À travers cette collection de poèmes, Goethe exprimait son admiration pour la culture persane et islamique tout en présentant une image de l’Islam à la fois critique et révérencieuse. Sa représentation de l’Orient, et en particulier de l’Islam, incarne un approfondissement de la curiosité culturelle qui allait au-delà du simple niveau de surface. Goethe voyait dans la poésie et la philosophie islamiques une richesse et une profondeur qui contrastaient avec le rationalisme des Lumières et l’orthodoxie religieuse de l’Europe.

La période romantique, avec son accent sur l’imaginaire et le mystique, a permis une vision plus nuancée du monde islamique. Les penseurs, poètes et artistes allemands étaient de plus en plus attirés par les traditions spirituelles et intellectuelles de l’Orient. Ils y trouvaient un sens de liberté et de complexité qui contrastait avec les structures rigides de la société européenne. Cette curiosité intellectuelle continuerait d’évoluer au fil des décennies à venir, mais les contributions de Goethe étaient fondamentales pour encadrer le dialogue entre le romantisme allemand et l’Islam.

2. Wilhelm II et l’intérêt stratégique pour l’Islam : L’alliance avec l’Empire Ottoman

Avançons vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle, et le contexte politique de la relation de l’Allemagne avec l’Islam prend une nouvelle dimension sous le règne de l’empereur Guillaume II. Contrairement à l’intérêt intellectuel de la période romantique pour l’Orient, la fascination de Wilhelm II pour l’Islam était avant tout motivée par des préoccupations géopolitiques et l’importance stratégique de l’Empire Ottoman.

À la fin du XIXe siècle, l’Empire Ottoman était considéré comme le « vieil homme malade de l’Europe », un empire en déclin luttant pour maintenir ses vastes territoires. Cependant, l’Allemagne voyait le potentiel de renforcer sa position dans la région en forgeant des liens plus étroits avec les Ottomans. Cet intérêt était motivé par le désir de créer une alliance qui pourrait contrer le pouvoir de la Grande-Bretagne et de la France. L’ascension de l’Islam en tant que partie intégrante du discours politique allemand sous le règne de Wilhelm II reflétait à la fois une approche pragmatique des relations internationales et une tentative d’affirmer l’influence allemande dans la région.

Wilhelm II était désireux de se présenter comme le protecteur de l’Islam, qu’il voyait comme un moyen de gagner les faveurs du sultan ottoman et du monde musulman en général. Son soutien aux Ottomans pendant la Première Guerre mondiale, en particulier dans le contexte de l’effondrement de l’Empire Ottoman et de la réorganisation du Moyen-Orient qui a suivi, était la continuité de cette politique. À cette époque, l’Islam n’était pas seulement vu comme un phénomène culturel et religieux, mais aussi comme un outil géopolitique, dans le cadre d’une stratégie plus large visant à étendre l’influence de l’Allemagne au Moyen-Orient.

Cet intérêt politique pour l’Islam ne se limitait pas aux considérations diplomatiques ; il avait aussi des ramifications culturelles et idéologiques. La relation de Wilhelm II avec l’Islam faisait partie d’une fascination européenne plus large pour l’Orient, qui mélangeait curiosité intellectuelle, révérence religieuse et calcul politique.

3. La rencontre entre le Mufti de Jérusalem et Adolf Hitler

Une autre facette de la relation entre l’Allemagne et le monde islamique, bien que bien plus controversée et complexe, fut la rencontre entre le Mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, et Adolf Hitler. Cette rencontre, survenue en 1941, s’inscrit dans un contexte où l’Allemagne nazie cherchait à s’attirer des alliés dans le monde arabe et musulman, dans le but de contrer les puissances britanniques et d’affaiblir les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. Le Mufti, qui cherchait le soutien des nazis dans sa lutte contre les Britanniques et s’opposait à la domination juive en Palestine, a rencontré Hitler dans un climat de politique de guerre et d’alignement stratégique.

Il convient de souligner que cette rencontre ne reflète en aucune manière une adhésion ou une identification de l’Islam dans son ensemble avec les idéologies nazie et racistes. Il s’agissait plutôt d’une alliance opportuniste entre deux forces, chacun cherchant à avancer ses propres intérêts géopolitiques dans un contexte de guerre mondiale. Cette rencontre reste un sujet délicat dans l’histoire des relations entre l’Allemagne et le monde musulman, et elle ne doit pas occulter les nombreuses autres dimensions de l’interaction entre les deux.

4. La crise des réfugiés et la fascination continue pour l’Orient

Au XXIe siècle, l’intérêt de l’Allemagne pour le monde islamique a pris de nouvelles dimensions, en particulier dans le contexte de la crise des réfugiés. L’acceptation des réfugiés syriens, notamment après 2015, a provoqué une nouvelle vague d’interactions entre l’Islam et la société allemande. En tant que pays qui avait historiquement eu peu de contacts avec l’Islam à grande échelle, l’arrivée des réfugiés marquait un tournant dans la perception publique de l’Islam en Allemagne.

L’influence des réfugiés sur la société allemande a été significative. L’afflux de réfugiés syriens a conduit à une prise de conscience accrue de l’Islam dans le discours public allemand, et il y a eu un intérêt croissant pour la compréhension des dimensions culturelles, religieuses et sociales de l’Islam. Cet engagement n’a pas toujours été fluide, avec des tensions sur l’intégration, les différences culturelles et les défis liés à l’accueil de grands nombres de réfugiés. Cependant, il a aussi ouvert de nouvelles opportunités pour le dialogue et la compréhension.

La fascination pour l’Orient, qui avait commencé comme une curiosité intellectuelle à l’époque romantique, était désormais teintée d’implications concrètes. La société allemande s’est retrouvée confrontée à des questions de multiculturalisme, d’intégration et de diversité religieuse d’une manière qu’elle n’avait pas connue auparavant. L’intérêt continu pour l’Orient, en particulier pour le Moyen-Orient, était devenu plus ancré dans la géopolitique contemporaine, alors que l’Allemagne jouait un rôle clé dans la réponse européenne à la crise des réfugiés.

5. L’héritage de la fascination allemande pour l’Islam

De l’Orient idéalisé de Goethe à l’Empire Ottoman de Wilhelm II, et enfin à l’engagement contemporain avec les réfugiés, l’intérêt de l’Allemagne pour l’Islam a pris des formes multiples. Si la curiosité intellectuelle de la période romantique a posé les bases d’une fascination pour l’Orient, cet intérêt a évolué au fil du temps, prenant des dimensions politiques, culturelles et humanitaires.

La relation de l’Allemagne avec l’Islam, façonnée à la fois par des considérations stratégiques et des explorations intellectuelles, offre un aperçu fascinant des dynamiques complexes de l’échange culturel et de l’engagement politique. Alors que l’Allemagne continue de faire face aux enjeux de la migration et de l’intégration à l’ère moderne, la longue fascination pour le monde islamique demeure un élément clé de son identité culturelle et politique. L’influence de cette relation n’est pas seulement historique, mais continue de façonner le présent et l’avenir de l’Allemagne alors qu’elle navigue dans les défis d’un monde diversifié et interconnecté.

Khaled Boulaziz