L’Algérie : Une oligarchie militariste au service d’un ordre globalisé

L’Algérie, pays riche en ressources naturelles et doté d’une histoire mouvementée, est dominée par une oligarchie militariste qui s’appuie sur une classe compradore pour maintenir son emprise. Depuis l’indépendance en 1962, cette configuration politique et économique s’est enracinée, formant un système autoritaire où les pouvoirs militaires et économiques collaborent pour privilégier leurs intérêts au détriment de la population. Cet essai explore la genèse de cette situation et son insertion dans une dynamique globale, à travers une synthèse des sources énumérées.

La genèse d’un pouvoir militaire prédominant

L’article « Algérie : Le pronunciamento permanent » éclaire les origines du pouvoir militaire en Algérie. Immédiatement après l’indépendance, les luttes internes au sein du Front de Libération Nationale (FLN) ont jeté les bases d’un régime dominé par l’armée. Une division majeure s’est manifestée entre les maquisards de l’intérieur, qui avaient combattu sur le terrain, et l’armée des frontières, stationnée en Tunisie et au Maroc.

Sous la direction d’Ahmed Ben Bella et debHouari Boumediène, l’armée des frontières a évincé le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), marquant ainsi le premier pronunciamento. Cette prise de pouvoir a été consolidée par l’instauration d’un système de parti unique où le FLN servait de vitrine civile pour l’hégémonie militaire. Le conflit entre ces factions a finalement été résolu par la force, l’armée des frontières entrant à Alger en septembre 1962 pour imposer son autorité.

Les tensions internes au sein du FLN reflétaient des divergences de vision quant à l’avenir du pays. Si certains leaders préconisaient une gouvernance démocratique et inclusive, d’autres, influencés par les succès militaires, ont opté pour un modèle centralisé et autoritaire. Ce choix a établi un précédent qui perdure jusqu’à aujourd’hui, avec une armée jouant un rôle déterminant dans la politique nationale.

Un régime autoritaire consolidé par la répression

L’article « Aux confins du désarroi : l’Algérie dans l’engrenage de l’autoritarisme » décrit comment ce système s’est renforcé au fil des décennies. Sous prétexte de stabilité et de sécurité, les dirigeants successifs ont instauré une répression systématique contre toute forme de dissidence. Les journalistes, activistes et opposants politiques sont régulièrement ciblés par des lois anti-terroristes, souvent manipulées pour réduire au silence les voix critiques.

Dans ce contexte, les réseaux de pouvoir, essentiellement militaires, s’appuient sur un clientélisme qui étend leur influence à tous les niveaux de la société. Ce système n’est pas seulement axé sur la répression mais sur la cooptation, permettant de créer une base sociale restreinte mais fidèle, constituée d’élites économiques et politiques.

Ce climat de peur et de contrôle est également alimenté par une surveillance étendue et par l’utilisation de la justice comme instrument de coercition. Le cas du Hirak, un mouvement populaire pacifique qui a émergé en 2019, est emblématique de cette dynamique. Bien que les manifestants aient appelé à une transition démocratique, le pouvoir a réagi par des arrestations massives et une intensification des contrôles.

Le paroxysme de cette violence fut atteint lors de la guerre imposée à l’Algérie par la caste militaire des DAF (Deserteurs de l’Armée Française), suite à l’annulation des élections parlementaires de 1991, un tournant dramatique où l’espoir d’une transition démocratique s’effondra sous le poids des armes. La démission du président Chadli Bendjedid, lâchant ainsi un peuple désemparé face à la machine de guerre, amplifia l’abandon ressenti par une population en quête de changement. Dans cette tragédie, les Algériens se retrouvèrent seuls, livrés à une violence aveugle qui n’épargna ni vies ni consciences.

L’économie au service d’une élite compradore

Sur le plan économique, l’Algérie souffre d’une stagnation chronique, malgré ses ressources naturelles abondantes. L’article « Algérie : action fantomique d’un gouvernement en perdition » illustre cette réalité en mettant en avant l’incapacité de l’état à mener des réformes structurelles. Les projets de diversification économique, bien que fréquemment annoncés, restent lettre morte. Cela reflète l’inefficacité d’un système où les intérêts de la classe dirigeante priment sur le bien-être collectif.

Cette classe compradore, formée d’élites économiques et politiques, agit comme un relais des intérêts étrangers. Dans « L’Algérie sacrifiée : la caste militariste et la soumission d’une nation », il est montré que ces acteurs favorisent des partenariats avec des entreprises étrangères, notamment dans le secteur des hydrocarbures, tout en marginalisant l’emergence de compétences locales. Cette situation inscrit l’Algérie dans une division globale du travail, où elle joue le rôle d’exportateur de matières premières sans valeur ajoutée.

De plus, les politiques économiques sont caractérisées par une opacité institutionnelle. Les scandales de corruption, impliquant des figures clés du pouvoir, révèlent une gestion rentière et une absence totale de transparence. Les tentatives de modernisation, lorsqu’elles existent, sont sabotées par des intérêts privés qui préfèrent maintenir le statu quo.

Un État clientéliste dans un contexte globalisé

L’économie algérienne illustre à la perfection les dynamiques d’un état clientéliste, où les revenus tirés des hydrocarbures servent à entretenir une élite éloignée des priorités du peuple. La dépendance aux exportations de gaz et de pétrole empêche tout développement d’un secteur industriel ou agricole capable de diversifier l’économie.

Dans ce contexte, l’Algérie joue un rôle bien défini dans l’ordre économique mondial. Elle fournit des ressources énergétiques aux puissances économiques, mais elle reste tributaire de technologies et de services importés. Cela crée un cercle vicieux où la captation des richesses par une élite complète l’absence de redistribution économique.

Les partenariats avec des multinationales sont souvent décourageants pour la population. Les entreprises étrangères bénéficient de conditions privilégiées, tandis que les travailleurs locaux subissent des conditions précaires. Par ailleurs, les grands projets infrastructurels, bien que nécessaires, sont régulièrement accusés d’être des moyens de détourner des fonds publics plutôt que des investissements réels pour le développement.

Conclusion : une issue possible ?

Le constat sur la situation actuelle de l’Algérie est certes alarmant, mais il serait prématuré de conclure à une fatalité. L’histoire nous enseigne que les systèmes autoritaires et oligarchiques, même les plus enracinés, peuvent être réformés ou renversés lorsque des conditions adéquates se présentent. Toutefois, la transition vers une gouvernance plus démocratique et équitable nécessite des efforts concertés à plusieurs niveaux.

D’abord, la société civile joue un rôle crucial. Le Hirak a démontré que la mobilisation populaire reste une force puissante en Algérie, capable de déstabiliser les certitudes d’un pouvoir militaire qui semblait inébranlable. Pour transformer cette énergie en un véritable changement, il est indispensable de structurer ces mouvements, de les doter de leaders représentatifs et de propositions claires pour une transition politique.

Ensuite, le renouvellement des élites est essentiel. L’actuelle classe compradore, alliée du pouvoir militaire, doit être remplacée par des cadres compétents, animés par une vision de développement durable et inclusif. Cela implique la mise en place de mécanismes transparents pour l’accès aux responsabilités politiques et économiques, ainsi qu’une lutte sans concession contre la corruption.

Sur le plan économique, l’Algérie doit impérativement diversifier ses activités. Une réforme du secteur énergétique, combinée à des investissements dans l’agriculture, l’industrie légère et les technologies, permettrait de réduire la dépendance aux hydrocarbures et d’offrir de nouvelles opportunités à la population. Cela ne peut se faire qu’en instaurant un cadre réglementaire stable et équitable, capable d’attirer des investissements tout en préservant les intérêts nationaux.

Enfin, l’appui de la diaspora algérienne se présente comme un levier stratégique incontournable, un fil d’Ariane qui pourrait tisser des ponts entre le passé et l’avenir du pays. Cette diaspora, riche d’une diversité d’expériences et d’une vision aiguisée des enjeux mondiaux, détient une capacité unique à influer sur les transformations locales. Son rôle, loin de se limiter à un simple soutien financier, devrait s’étendre à un accompagnement plus profond, renforçant les capacités locales dans des domaines vitaux tels que l’éducation et la défense des droits humains. En promouvant une éducation libératrice et en soutenant des initiatives visant à rétablir la dignité humaine, cet appui constitue un outil essentiel pour restaurer les fondements démocratiques et offrir à l’Algérie un avenir fondé sur l’égalité, la justice et la prospérité.

L’Algérie, riche de son histoire, de sa culture et de ses ressources, a le potentiel de surmonter les défis posés par son oligarchie militariste. Mais cette transformation ne pourra se faire que si un véritable dialogue national émerge, engageant toutes les couches de la société. Il appartient à la jeunesse algérienne, en particulier, de porter cette aspiration au changement, de refuser les compromis avec l’autoritarisme, et de construire une nation à la hauteur des idéaux pour lesquels tant de sacrifices ont été consentis.

Khaled Boulaziz