La crise actuelle en Algérie est le résultat direct de l’hégémonie d’une caste militariste qui a pris le pays en otage. Depuis les premières heures de la lutte pour l’indépendance, l’armée s’est imposée comme le véritable centre du pouvoir. Ce rôle a été consolidé à travers des décennies de manipulation politique, d’interventions répressives et d’accaparement des ressources nationales, au détriment de la souveraineté populaire.
La mainmise de l’armée sur le pouvoir
Dès l’indépendance, l’armée a érigé sa propre conception de la légitimité, marginalisant les institutions civiles et les aspirations populaires. Cette oligarchie militariste, qui se suffit à elle-même, s’est montrée allergique à la contestation et au doute. Les décennies suivant l’indépendance ont été marquées par une succession de régimes autoritaires dominés par l’armée, étouffant toute tentative de démocratisation.
Les événements d’octobre 1988, qui ont exposé la fragilité du système politique face à la contestation populaire, illustrent parfaitement l’incapacité du sommet à s’adapter. L’armée est intervenue brutalement, réprimant les protestations au prix de centaines de morts, tout en préservant son monopole sur le pouvoir. Depuis, elle s’est positionnée comme l’arbitre ultime des crises politiques, renforçant son contrôle sur le pays.
La militarisation de la crise politique
L’échec de la transition démocratique amorcée dans les années 1990 illustre le rôle destructeur de l’armée. Lorsque le Front islamique du salut (FIS) a remporté les élections locales en 1990, puis le premier tour des législatives en 1991, l’armée a stoppé le processus électoral. Ce coup d’arrêt a plongé le pays dans une guerre civile sanglante, connue sous le nom de « décennie noire ». Sous couvert de lutter contre le terrorisme, l’armée a consolidé son pouvoir en neutralisant toute opposition politique.
Les institutions étaient vidées de leur substance, et l’État fonctionnait comme une extension des intérêts militaro-sécuritaires. Le Haut Comité d’État (HCE), créé en 1992 pour combler le vide institutionnel après la démission de Chadli Bendjedid, n’était qu’un instrument entre les mains des généraux. L’assassinat de Mohamed Boudiaf, figure réputée pour son intégrité, a renforcé l’idée que cette caste ne tolère aucune tentative de moralisation ou de réforme.
Une économie asphyxiée par la corruption militariste
Sur le plan économique, l’armée a transformé l’Algérie en un État rentier, dépendant des hydrocarbures et soumis à une corruption systémique. Le contrôle des ressources par l’oligarchie militariste a marginalisé les secteurs productifs, provoquant une paupérisation généralisée. Le « trabendo » et la corruption sont devenus des caractéristiques structurelles, révélant la faillite d’un système incapable de répondre aux besoins sociaux de la population.
Les tentatives de restructuration économique, comme celles initiées sous Chadli Bendjedid, ont échoué face à la mainmise des militaires sur l’économie. La dette extérieure écrasante, les privatisations mal encadrées et la réticence à ouvrir l’économie ont maintenu le pays dans une stagnation durable. La classe moyenne s’est érodée, tandis que l’armée et ses alliés économiques prospéraient.
L’illusion des réformes sous Bouteflika
Avec l’arrivée au pouvoir de Bouteflika en 1999, l’armée a préservé son emprise en plaçant un président dépendant de son soutien. Bien que Bouteflika ait promu des initiatives comme la loi sur la concorde civile pour réduire la violence, ces mesures ont souvent servi à garantir l’impunité des acteurs de la décennie noire, consolidant ainsi le règne de l’armée.
Malgré des discours modernistes, les réformes étaient freinées par les intérêts militaires. Le système judiciaire, l’éducation et même les médias restaient sous influence. La presse, bien que relativement libre, était menacée par des lois restrictives. La classe politique, quant à elle, était dominée par des partis clientélistes, souvent manipulés par les généraux.
Une classe politique sous tutelle
La fragmentation de la classe politique algérienne a servi les intérêts militaristes. Les partis islamistes, comme le MSP et En-Nahda, oscillaient entre opposition et collaboration, profitant de leur position ambiguë. Les partis sécularistes, quant à eux, restaient limités dans leur influence, souvent perçus comme déconnectés des réalités populaires. L’armée exploitait ces divisions pour maintenir son contrôle, présentant son rôle comme indispensable à la stabilité du pays.
Un avenir incertain
La crise algérienne est avant tout une crise de souveraineté. La caste militariste, en accaparant le pouvoir, a étouffé les aspirations populaires, transformant l’Algérie en un champ de batailles économiques, sociales et politiques. Les massacres en Kabylie et les protestations massives des jeunes réclament une justice et une responsabilité politique qui font défaut.
La transition vers une véritable démocratie passe par une remise en question de la domination militariste. Sans un changement radical, l’Algérie risque de rester enfermée dans un cercle vicieux d’autoritarisme, de stagnation économique et de conflits sociaux. La responsabilité politique, la justice et la fin de l’impunité sont les seules voies pour sortir de cette crise. Pour l’instant, la caste militariste reste le principal obstacle à cet objectif.
Khaled Boulaziz