La révolution syrienne et la fin aux guerres menées par les castes militaires dirigeantes contre l’Islam politique ?

À ce stade, mon propos n’est pas d’évaluer le projet intellectuel et politique de l’Islam politique, ni de lui attribuer l’ensemble du succès de la révolution syrienne. Cependant, il demeure l’un de ses composants — peut-être pas le plus influent, mais sa participation ne peut être niée.

Depuis deux tiers de siècle, nous avons grandi en entendant parler des guerres menées par les castes militaires dirigeantes contre les partisans de l’Islam politique et leurs branches à travers le monde arabe. Les régimes arabes, qu’ils soient nationalistes ou libéraux, révolutionnaires ou réactionnaires, ont tous participé à ces guerres à l’échelle de la région. Ces guerres étaient systématiques et justifiées par une même narration : « L’Islam politique est un mouvement traître et criminel implanté par les puissances coloniales pour détruire les nations. » Cette narration aurait pu sembler plus crédible si ces régimes, qu’ils soient régressifs ou progressistes, avaient tenu leurs promesses de développement économique et social ou libéré les terres occupées, comme leurs slogans le proclamaient. Cependant, la situation syrienne, en particulier après la mise à nu du régime baassiste, a révélé la vérité.

Ces régimes, malgré tous leurs projets proclamés, n’ont réussi qu’une chose : s’unir autour de la tâche centrale d’éradiquer l’Islam politique dans ses diverses déclinaisons régionales. Ils ont échoué dans toutes leurs autres missions, sauf celle-ci. Mais aujourd’hui, ces régimes s’effondrent les uns après les autres, et l’Islam politique réapparaît. Malgré les guerres, ce mouvement a survécu à ses oppresseurs, il semble vivant et cohérent, et pourrait être prêt à reprendre les rênes. La tâche qui l’attend est monumentale : réaliser le développement, la libération et la construction de la démocratie à partir de zéro. Les partisans de l’Islam politique pourront-ils démontrer une réelle capacité à accomplir cela, alors que la révolution syrienne semble avoir mis fin aux guerres systématiques menées par les castes militaires dirigeantes ?

Je ne m’intéresse pas ici à évaluer la vision intellectuelle et politique de l’Islam politique, ni à lui attribuer tout le succès de la révolution syrienne. Il n’en est qu’un composant, et bien qu’il ne soit peut-être pas décisif, sa participation ne peut être ignorée. Cet article s’éloigne donc de la propagande politique pour ou contre l’Islam politique, pour se concentrer sur deux questions importantes posées à ceux qui l’ont combattu sans relâche :

  1. Pourquoi l’Islam politique a-t-il survécu malgré les guerres auxquelles il a fait face dans chaque pays ? Pourquoi continue-t-il à réapparaître, sous son nom originel ou sous d’autres appellations, tout au long de l’histoire moderne des États arabes ? (Pour rappel, l’Islam politique est né il y a un siècle, avant même la création des États arabes modernes.)
  2. Pourquoi l’élimination de l’Islam politique a-t-elle toujours bénéficié d’un soutien occidental absolu, qu’il s’agisse de régimes nationalistes-progressistes, réactionnaires, monarchiques ou républicains ?

Cette étrange convergence entre les régimes arabes et les puissances coloniales occidentales, ainsi que leur alliée sioniste, a constamment innocenté l’Islam politique des accusations de trahison et de collaboration portées contre lui. Au contraire, elle a renforcé ses partisans et sympathisants. (Il convient de noter que de nombreuses figures et mouvements démocratiques, libres et nationalistes, étrangers à l’Islam politique, ont refusé de participer à ces guerres et ont été qualifiés de pro-Islam politique pour leur refus de collaborer dans ces crimes.)

L’échec des régimes à réaliser le développement, la démocratie et la libération des terres occupées a généré une sympathie encore plus grande envers l’Islam politique, notamment après les destructions massives menées par des factions ayant des racines évidentes dans l’Islam politique, même si elles diffèrent dans leurs méthodes de lutte.

Trois modèles émergent aujourd’hui pour compléter cette image :

  1. Le modèle turc : Bien qu’un mouvement d’Islam politique pur n’ait jamais existé en Turquie, son mouvement islamique a résisté aux coups d’État depuis l’ère kémaliste, triomphant finalement et réussissant dans les domaines du développement et de la démocratie. La Turquie s’est transformée en une puissance régionale, traitant avec l’Occident sur un pied d’égalité et jouant un rôle actif dans l’avenir de la région et peut-être du monde. Elle apparaît désormais comme le protecteur de l’Islam politique dans le monde arabe, potentiellement en mesure de diriger ce mouvement vers une expérience à la Erdogan.
  2. Le modèle saoudien : Ce modèle met l’accent sur un islam ritualiste, néglige le développement et la démocratie, et privilégie un discours religieux centré sur la soumission aux dirigeants plutôt que sur la justice sociale ou la libération des terres occupées.
  3. Le modèle algérien : L’Algérie offre une expérience hybride. Le mouvement islamiste y a été écrasé dans les années 1990 après des victoires électorales, entraînant une décennie de guerre civile et de lourdes pertes. Cependant, l’Islam politique en Algérie s’est adapté aux réalités politiques, intégrant le système par des alliances et des compromis. Malgré la domination militaire persistante, les islamistes algériens restent une force significative, cherchant à influencer graduellement plutôt que par confrontation directe.

Le défi du pouvoir pour l’Islam politique
La révolution syrienne a marqué la fin des souffrances de l’Islam politique en Syrie, où ses partisans ont été confrontés à des guerres sans précédent menées par la caste militaire. Aucun régime n’a ciblé l’Islam politique de manière aussi systématique que le régime baassiste en Syrie. Désormais, l’Islam politique n’est plus seul en Syrie, mais constitue un acteur clé dont le poids sera révélé lors des premières élections démocratiques promises par la révolution syrienne.

Ses factions dans le monde arabe regardent probablement l’expérience syrienne avec espoir, envisageant son expansion. Les régimes qui ont survécu en réprimant l’Islam politique, tout en recevant des récompenses occidentales pendant des décennies, réévaluent désormais leurs politiques. Ils pourraient se diriger vers des réconciliations, des manœuvres ou une intégration progressive dans les systèmes politiques.

Les partisans de l’Islam politique se trouvent maintenant à un carrefour critique :

  • Le modèle Erdogan, qui prône l’action politique sous l’égide de la démocratie, la coexistence avec différentes communautés, et évite l’imposition de l’islam par la force ou la reconquête.
  • Le modèle saoudien, axé sur un islam ritualiste et dépolitisé.
  • Le modèle algérien, marqué par le pragmatisme et la résilience face à la domination militaire.

Ce tiraillement idéologique semble se jouer au sein de la révolution syrienne. Si la direction dominante reste incertaine, une chose semble sûre : l’ère des guerres systématiques menées par les castes militaires dirigeantes est terminée en Syrie, et pourrait s’étendre à d’autres régions où opère l’Islam politique. Que cela ouvre la voie à une réplique du modèle turc, à une adaptation algérienne ou à une dérive vers le modèle saoudien reste à voir. Le verdict appartiendra aux urnes.

Khaled Boulaziz