Après la chute d’al-Assad en Syrie, le monde a entrevu les profondeurs grotesques de la tyrannie de son régime. Les prisons, autrefois voilées par le secret, se sont révélées être des royaumes tentaculaires de souffrance—des labyrinthes sombres où des Syriens de tous âges et des étrangers ont enduré des tourments inimaginables. Ces chambres de désespoir ont mis en lumière une vérité incontestable : les prisons des tyrans sont toutes semblables. Elles peuvent s’élever dans des terres différentes, marquées par les sables mouvants de Damas, Riyad, Le Caire, Tunis ou Alger, mais leur essence reste la même—un monument déchirant à la cruauté, un plan universel d’oppression.
Les dictatures ne gouvernent pas par consentement ou confiance ; leur domination repose sur la peur, un sol empoisonné qui doit être continuellement arrosé de sang et de silence. Elles n’inspirent pas la loyauté ; elles exigent la soumission. Et la soumission, elles le savent, ne peut être assurée que par la terreur. La prison devient alors non seulement un outil de répression mais la pierre angulaire de leur gouvernance. C’est là que la volonté du peuple est brisée, leurs voix réduites au silence et leurs rêves éteints. Pour le dictateur, la prison est plus qu’un bâtiment ; c’est une philosophie, un édifice sur lequel repose tout son régime.
En Syrie, les prisons d’al-Assad étaient des fabriques de souffrance, conçues pour écraser la dissidence avant qu’elle ne puisse prendre racine. Ici, l’espoir était un crime et la survie un acte de rébellion. Des milliers de personnes ont disparu dans ces donjons, englouties par une obscurité si profonde qu’elle effaçait leur existence aux yeux du monde extérieur. Il en va de même en Égypte sous Sissi, où les jeunes et les porteurs d’espoir—les véritables architectes d’un avenir meilleur—sont enfermés dans des cellules surpeuplées. En Arabie saoudite, les dissidents disparaissent dans des forteresses aux murs épais, leurs voix réduites au silence par la main lourde de l’État. L’Algérie, elle aussi, porte les ombres d’une histoire imprégnée des cris de ceux qui ont osé réclamer la liberté. Dans ces terres, la prison devient un spectre omniprésent, un lieu où la géographie de l’oppression se fond en un modèle singulier et macabre.
Et pourtant, même lorsqu’ils fortifient leur règne avec les barreaux de l’incarcération, les dictateurs révèlent la vacuité de leur pouvoir. Leur brutalité intérieure contraste avec leur lâcheté face aux menaces étrangères. Confrontés à des menaces extérieures, ces prétendus hommes forts se dérobent, leur bravade se dissolvant en une diplomatie timide, des marchandages désespérés ou une soumission servile. Ils construisent des prisons non pas parce qu’ils sont forts, mais parce qu’ils sont faibles. Leur règne dépend de la suppression de leur propre peuple, car ils savent que leur autorité ne peut résister à la lumière de la liberté ou au chœur de la dissidence.
Ce paradoxe définit le tyran. Pour maintenir son emprise sur le pouvoir, il doit anéantir la confiance, réduire son peuple à des îlots isolés par la peur, et créer une société où même un murmure de dissidence peut mener aux chaînes. Ses prisons ne sont pas seulement des lieux de confinement ; elles sont le cœur battant de son régime, insufflant la peur dans chaque recoin du pays. Elles sont des temples grotesques du pouvoir, où les rituels d’humiliation et de torture soutiennent l’illusion du contrôle.
Et pourtant, en construisant ces forteresses de désespoir, le dictateur sème involontairement les graines de sa propre chute. Car aucune prison, aussi fortifiée soit-elle, ne peut contenir l’espoir inébranlable de ceux qui rêvent de liberté. Les cris des opprimés peuvent résonner entre les murs pendant un temps, mais ils ne seront pas réduits au silence pour toujours. La plus grande peur du dictateur n’est pas le pouvoir étranger qu’il prétend défier, mais la résilience silencieuse de son propre peuple—une force qu’aucune brutalité ne peut éteindre.
Les prisons des tyrans sont à la fois leur honte et leur raison d’être, leur arme et leur faiblesse. Elles se dressent comme de sombres témoignages de l’universalité du despotisme, indifférenciables qu’elles soient en Syrie, en Arabie saoudite, en Égypte, en Tunisie ou en Algérie. La géographie de la répression ne connaît pas de frontières, et le langage de la souffrance est le même dans toutes les langues. Mais il en va de même pour le langage de l’espoir—un espoir qui s’élève même dans les cellules les plus sombres, un espoir qu’aucun tyran, aussi cruel soit-il, ne pourra jamais vraiment détruire.
Khaled Boulaziz