Dans ses derniers instants, Yahya Sinwar incarna la forme la plus grandiose de la résistance, un héros tragique tissé dans le tissu intemporel de l’histoire. Sa mort, vaillante et inflexible, ne survint pas dans un coin oublié, mais au milieu de la tempête implacable de la guerre, où il se tenait aux côtés de son peuple. Le conflit féroce qui l’entourait devint la scène sur laquelle se déroulait son ultime défi—une défense non seulement de sa patrie, mais d’une culture et d’une identité menacées par un envahisseur génocidaire, occupant et colonisateur. La disparition de Sinwar, parmi ses camarades, encapsula l’essence d’une mort de guerrier, faisant écho à l’éthos héroïque des anciens guerriers qui vivaient et mouraient pour leur terre et leurs proches. Sa mort, dans sa finalité brute, ne peut que sembler préordonnée par quelque dramaturge invisible, un climax digne des plus grandes tragédies.
Ce qui rend ce moment encore plus extraordinaire, ce n’est pas seulement le contexte de sa mort, mais la manière dont Sinwar a paru défier le récit que ses ennemis auraient écrit pour lui. Pas de retraite honteuse dans un tunnel caché, pas de refuge furtif dans un bunker souterrain—de tels actes, bien que pratiques en temps de guerre, ne pourraient jamais servir de fin digne pour un homme de telle envergure. Il n’a pas cherché à fuir lâchement le sort qui l’attendait. Au lieu de cela, il est resté ferme, combattant aux côtés de ceux dont le sang et la souffrance avaient formé l’épine dorsale de sa longue résistance. Sa mort n’était pas simplement une cessation biologique, mais une déclaration, une affirmation profonde que la résistance à l’oppression, même vouée à l’échec, est une obligation morale.
Dans les annales de l’histoire, ce sont ces moments-là—où la tragédie et la vaillance s’entrelacent—qui nous rappellent la dignité fondamentale inhérente à la lutte contre la tyrannie. S’il existe un mot qui capte l’esprit de la mort de Sinwar, c’est « hemingwayen« . En effet, son dernier combat pourrait bien avoir été extrait des pages d’un des romans d’Hemingway, peut-être un équivalent du Pour qui sonne le glas au Moyen-Orient. Il est impossible de ne pas établir des parallèles entre les derniers moments de Sinwar et le sort des protagonistes d’Hemingway : des hommes de principe, enfermés dans des batailles qu’ils savent perdues d’avance, mais qui persistent parce que la retraite n’est pas une option pour eux, ni moralement, ni spirituellement.
Comme les rebelles condamnés dans Pour qui sonne le glas, qui tenaient leur position alors que les forces fascistes les encerclaient, Sinwar a, lui aussi, fait face à la puissance écrasante de ses ennemis avec une résolution inébranlable. Il n’y avait aucune illusion grandiose de victoire ; il savait, tandis que ses ennemis se rapprochaient, que son sort était scellé. Et pourtant, il resta défiant, fier, Palestinien et musulman, inébranlable jusqu’à son dernier souffle. Dans de tels moments, une transcendance se produit, un passage au-delà de la simple survie vers le domaine de l’immortalité symbolique. Combattre encore, même face à une mort certaine, c’est affirmer son humanité contre l’indifférence froide de la machine de l’oppresseur.
Né en 1962, dans le camp de réfugiés de Khan Younès, la vie de Sinwar a été façonnée par la présence persistante du déplacement et de l’occupation. Sa famille, réfugiée de la ville détruite d’Al-Majdal, portait les cicatrices d’un passé arraché en 1948, l’année où Israël fut établi et où ils furent expulsés de force de leur foyer. Dès le début, son existence était marquée par la résistance aux forces coloniales qui cherchaient à effacer son peuple. L’occupation de Gaza par Israël, qui commença alors que Sinwar n’avait que cinq ans, continua de définir sa vie. Mais c’est sa mort, et non sa naissance, qui encapsule la poésie tragique de son existence.
Dans son dernier acte de défi, Sinwar, face à l’assaut implacable des Forces de défense israéliennes, ramassa un morceau de débris et le lança sur un drone. C’était un geste futile, sans aucune valeur stratégique, et certainement sans espoir de changer l’issue de la bataille. Et pourtant, dans cette futilité, il y avait un sens profond. Ce n’était pas seulement un acte de désespoir, mais un acte de souvenir, peut-être un écho de sa jeunesse, lorsqu’en tant que jeune garçon, il lançait des pierres sur les soldats israéliens. Ce petit acte de résistance, si emblématique de la lutte palestinienne, avait pris de l’ampleur au fil des décennies, culminant dans cette confrontation finale. Le drone, symbole de la distance déshumanisante de la guerre moderne, rencontra le geste ancien du défi—le lancer d’une pierre, d’un débris. La métaphore ne pouvait être plus claire : c’était un combat entre l’oppresseur et l’opprimé, entre ceux qui manipulent une technologie vaste et impersonnelle et ceux qui résistent avec ce que leurs mains peuvent saisir.
Les répercussions de ce que Sinwar a déclenché le 7 octobre se feront sentir pendant des générations. Ses actions ne furent pas le dernier souffle d’un peuple vaincu, mais la première salve d’un changement historique bien plus vaste. L’histoire se souviendra de Sinwar non seulement pour la manière dont il a vécu, mais pour la manière dont il est mort—une mort qui restera à jamais liée au récit plus large de la résistance palestinienne. La trajectoire de sa vie, façonnée par des décennies d’occupation et d’emprisonnement, trouva son aboutissement dans ce dernier chapitre. Comme la pierre que les jeunes garçons lançaient contre les chars, le dernier geste de Sinwar, bien que petit et symbolique, se répercutera dans l’histoire, préparant le terrain pour ce qui est encore à venir.
Dans le grand déroulement du temps, de telles figures, qui se tiennent debout face à la marée écrasante de la destruction, laissent un héritage bien plus grand que leur vie individuelle. Sinwar peut-être est mort, mais dans sa mort, il a atteint une sorte d’immortalité. Son défi, son refus de céder même face à des obstacles insurmontables, le place parmi le panthéon de ceux qui choisissent de résister. Et à mesure que l’histoire se déroule, il sera clair que ce n’était pas la fin, mais bien le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la Palestine.
Ce qui est le plus triste dans le martyre du vaillant héros, Yahya Sinwar, c’est qu’il se battait seul, un simple bâton dans sa main gauche, tandis que sa main droite, blessée, était incapable de brandir une arme. Il combattait avec une bravoure inouïe, à seulement quelques kilomètres des frontières d’un État arabe dont la population dépasse les 114 millions d’âmes, et dont l’armée, forte de près de 700 000 soldats et officiers, est abondamment pourvue en armes. Une vision poignante, celle d’un homme isolé, défiant l’adversité sous l’ombre d’une force colossale toute proche, mais silencieuse.
Finalement, Yahya Sinwar n’est pas seulement un héros pour les Palestiniens. Il est aussi un héros pour tous ceux qui, à travers le monde, s’élèvent contre l’impérialisme anglo-saxon et le suprémacisme juif. Il incarne la lutte universelle de tous les opprimés, la flamme ardente de la résistance contre les puissances qui cherchent à asservir les peuples et effacer leur identité. À travers son ultime sacrifice, il rejoint les rangs de ceux qui, par-delà les époques et les frontières, ont refusé de courber l’échine devant l’injustice. Le nom de Sinwar, désormais gravé dans le marbre de l’histoire, résonnera tel un écho intemporel, un appel à la rébellion contre toutes les formes de domination et d’oppression.
Khaled Boulaziz