Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage.
Jean Jaurès, Homme politique Français
Les nations, empires, royaumes – ils s’élèvent et tombent, leurs bannières emportées par les vents implacables de l’histoire. Les trônes s’effondrent, les monuments de gloire se dissolvent en poussière, et les grands conquérants dont les noms résonnaient jadis à travers la terre sont oubliés dans les échos du temps. Pourtant, au milieu des ruines des civilisations, un pouvoir demeure intact, éternel dans sa domination : les banques.
Là où les empereurs chancellent, où les nations disparaissent dans l’oubli, les banques perdurent, inébranlables dans leur quête de richesse, et surtout les banques du pillage – les architectes silencieux des empires, les échafaudages invisibles sur lesquels les guerres se mènent et les trésors se pillent. Des cendres des dynasties déchues, leurs coffres continuent de se remplir des dépouilles de terres lointaines, leurs registres gonflent des richesses du pillage. Car si les couronnes changent de mains et les frontières se redessinent, le flux de l’or, lui, reste constant.
Ainsi, lorsque la France revendiqua l’Algérie en 1830, ce n’était pas seulement le drapeau tricolore qui flottait triomphalement au-dessus de la ville conquise d’Alger, mais aussi l’étendard invisible des banquiers qui finançaient cette sinistre affaire. Au cœur de cette transaction impériale se tenait la banque Rothschild, ce monument le plus durable de la finance moderne, qui n’accompagnait pas seulement l’armée française, mais facilitait son avancée, finançant une guerre de pillage qui marquerait à jamais le début sanglant du cauchemar colonial algérien. Car tout grand crime nécessite des financiers, et la conquête d’Alger, ce joyau étincelant de la Méditerranée, ne faisait pas exception.
Le crime contre l’Algérie : La scène est dressée
Ne soyons pas dupes du prétexte minable de l’Incident du Coup d’Éventail, ce moment en 1827 où le Dey ottoman d’Alger frappa le consul français avec un éventail à cause de dettes impayées. Cette escarmouche diplomatique mineure n’était rien de plus qu’un prétexte, un décor théâtral dans une machination impériale plus vaste. La France, vacillant au bord du chaos politique, voyait dans Alger une opportunité de détourner l’attention de son peuple agité, de détourner l’attention des échecs du régime de Charles X, et de remplir ses coffres des fruits dorés de la conquête. Mais ne vous y trompez pas : ce n’était pas simplement une guerre de vengeance pour l’honneur blessé d’un diplomate. C’était un crime méticuleusement calculé, et les crimes de cette ampleur nécessitent un financement.
Le pillage d’Alger : Des richesses incommensurables
Lorsque les troupes françaises prirent d’assaut les murs d’Alger le 5 juillet 1830, elles ne trouvèrent pas une ville déserte, mais un trésor inestimable. La Casbah d’Alger, siège du pouvoir ottoman, regorgeait de richesses accumulées au fil des siècles : or, argent, bijoux, et les butins de la piraterie qui avaient fait d’Alger un objet de crainte et d’envie à travers la Méditerranée. Les estimations des butins saisis ce jour-là vont de 50 millions de francs à une somme astronomique de 100 millions de francs – une fortune qui éclipsait de loin le modeste trésor de guerre avec lequel la France avait entrepris la campagne.
Mais que fait, pourrait-on demander, une armée pillarde d’une telle richesse ? La réponse ne se trouve pas dans les mains des soldats qui ont versé leur sang pour la saisir, mais dans les salons dorés des banques européennes. Car une fois le trésor extrait d’Alger, il ne resta pas longtemps dans les entrepôts poussiéreux des généraux français. Non, il fut rapidement acheminé dans les coffres des institutions financières les plus puissantes de l’époque. Et ici, au cœur de cette toile financière, se trouvait la banque Rothschild.
Les Rothschild : Banquiers des empires du sang
Ah, les Rothschild ! Cette dynastie bancaire la plus illustre, dont le nom résonne dans les corridors du pouvoir, dont l’influence transcende les frontières, et dont la richesse fait bouger les armées aussi aisément qu’elle fait tourner les marchés. En 1830, la Maison Rothschild était le titan incontesté de la finance européenne. De Londres à Paris, de Vienne à Naples, les Rothschild avaient bâti un empire d’or, un empire qui étendait ses tentacules dans chaque recoin de la politique et du commerce européens. Et tandis que la France s’engageait dans son aventure algérienne, c’était la banque Rothschild qui graissait les rouages de la guerre avec ses réserves apparemment illimitées.
Car les guerres ne se mènent pas seulement avec gloire – elles se mènent avec du crédit, et le crédit nécessite des banques. Le Trésor français, déjà épuisé par les crises intérieures, n’aurait pas pu supporter le coût de la campagne algérienne sans le soutien des financiers. Les Rothschild, avec leur accès inégalé aux capitaux européens, jouèrent un rôle crucial en garantissant les prêts et le financement nécessaires pour soutenir l’invasion. Ils furent, en quelque sorte, les partenaires silencieux de la conquête, leur or finançant les balles et les baïonnettes qui tracèrent la route vers Alger.
Pillage et finance : Une relation symbiotique
Mais la relation entre le pillage et la finance n’est pas simple. Les Rothschild ne se contentèrent pas de financer l’invasion française ; ils profitèrent de son succès. Les vastes richesses pillées à Alger ne furent pas laissées à pourrir dans les coffres de l’État français. Elles furent rapidement injectées dans les marchés financiers, où elles enrichirent ceux qui contrôlaient le flux de capitaux. Et ici, les Rothschild, avec leur réseau incomparable de banques et de courtiers, étaient parfaitement placés pour tirer profit de cette aubaine. Le trésor d’Alger, autrefois la fierté des souverains ottomans, devint le carburant qui alimenta les moteurs de la finance européenne.
Quelle ironie, alors, que les mêmes banquiers qui avaient aidé à financer la conquête d’Alger profitèrent ensuite de son pillage. Les Rothschild, qui avaient prêté de l’argent à Charles X pour financer son escapade militaire, virent leurs investissements remboursés plusieurs fois grâce aux butins de guerre. Pour chaque franc pillé dans les palais d’Alger, une fraction se retrouva dans les coffres des banques européennes, où elle se transforma en dividendes et en intérêts. De cette manière, la conquête d’Alger ne fut pas seulement un triomphe militaire, mais un triomphe financier.
Un crime écrit dans les registres comptables
Ainsi, nous voyons l’étendue complète du crime. Le pillage d’Alger ne fut pas un simple acte de violence isolé, une rupture momentanée dans l’ordre des choses. Il faisait partie d’un système plus vaste – un système d’impérialisme, de capitalisme, d’exploitation – qui reposait autant sur les calculs froids des banquiers que sur la brutalité des soldats. Sans l’appui des Rothschild et de leurs semblables, l’invasion d’Alger n’aurait peut-être jamais eu lieu. Sans leur soutien financier, l’armée française aurait manqué des ressources nécessaires pour soutenir sa campagne. Et sans leur expertise dans la gestion des profits du pillage, les richesses d’Alger n’auraient jamais été pleinement réalisées.
En ce sens, les Rothschild ne furent pas de simples spectateurs du crime – ils en furent les facilitateurs, les financiers, les bénéficiaires. Ils transformèrent la guerre en profit, le pillage en investissement. Le butin d’Alger, loin d’être une anomalie, n’était qu’une autre entrée dans leurs registres, une autre transaction dans l’affaire de l’empire.
Conclusion : La main cachée de la finance
En réfléchissant aux événements de 1830, ne nous laissons pas séduire par les récits romantiques de gloire militaire et de conquête. La chute d’Alger, le pillage de ses richesses, et la subjugation de son peuple ne furent pas l’œuvre de héros, mais de profiteurs. Derrière la façade scintillante de la victoire se cache la sombre réalité de l’exploitation, une réalité rendue possible par les banquiers qui financèrent le crime et en récoltèrent les fruits.
Car tout pillage, toute guerre, tout grand crime a besoin d’une banque. Et dans le cas d’Alger, cette banque fut la Maison Rothschild, dont la richesse rendit possible le pillage d’une ville et la subjugation d’une nation. Dans leurs registres, le sang de l’Algérie fut transmuté en or, et dans leurs coffres, le trésor d’Alger trouva son dernier repos, un témoignage silencieux de la main invisible de la finance qui a façonné le cours des empires pendant des siècles.
Pour ceux qui pensent que le pouvoir de ces banques du pillage s’est amoindri, qui imaginent naïvement que les forces de la finance mondiale ont desserré leur emprise sur le destin des nations, il suffit de jeter un coup d’œil aux cycles de violence que l’Algérie a traversés – et continue de traverser. Les mêmes mains qui finançaient le pillage de nos villes, les mêmes coffres qui se remplissaient de nos richesses volées, sont omniprésents, tirant les ficelles du conflit, de la pauvreté, de la soumission.
L’ennemi d’hier est l’ennemi d’aujourd’hui. Il est l’ennemi de demain, l’ennemi pour l’éternité, rôdant dans l’ombre de chaque crise, de chaque guerre, de chaque cycle de destruction qui ravage notre terre. Tant que leurs registres gonflent, tant que l’or coule, ces banques du pillage ne disparaîtront jamais – elles sont les architectes de la souffrance sans fin, les maîtres silencieux et éternels d’un monde brisé.
Khaled Boulaziz
Sources :
Ageron, Charles-Robert. Modern Algeria: A History from 1830 to the Present.
Cain, Peter J., and Anthony G. Hopkins. British Imperialism: Innovation and Expansion, 1688–1914.
Ferguson, Niall. The House of Rothschild: Volume 1: Money’s Prophets: 1798-1848.
Stora, Benjamin. Algeria: A Short History.
Sessions, Jennifer E. By Sword and Plow: France and the Conquest of Algeria.
Hidy, Ralph W. The House of Rothschild and the Rise of Modern Finance.
Piketty, Thomas. Capital and Ideology.
Mbembe, Achille. On the Postcolony.