Dans les ombres du pouvoir, la corruption se répand dans les rangs militaires, telle une maladie s’étendant de la nomination à la mort. Dépourvus de principes directeurs et privés de toute boussole morale, les généraux des salons marchent au rythme d’une obéissance aveugle. Ce n’est pas une affliction localisée, mais une peste mondiale, née d’un système éducatif qui vénère la conformité plutôt que la conscience. À travers les continents, les armées subissent le même sort, leur honneur érodé par le flot incessant de la soumission sans réflexion, laissant dans leur sillage une traînée de violences et de dégradation éthique.
L’Inde, dans sa quête d’émancipation du joug britannique, atteignit son indépendance, marquant le début d’une nouvelle ère. Cependant, ce moment de libération fut assombri par la nécessité de diviser le territoire entre Hindous et Musulmans. Les Hindous formèrent l’État de l’Inde, tandis que les Musulmans fondèrent un nouvel État nommé Pakistan en 1947. Ce dernier fut initialement scindé en deux régions : le Pakistan occidental et le Pakistan oriental. Malgré leur foi commune, une animosité profonde, nourrie par les différences de couleur de peau et de statut social, persistait entre ces deux entités.
Le Pakistan occidental s’arrogea la majeure partie du pouvoir et des richesses, sous la férule des familles bourgeoises féodales alliées à l’armée. Le Pakistan oriental, avec sa population à la peau plus sombre, restait majoritairement pauvre et marginalisé politiquement. Mais cette situation d’injustice ne pouvait perdurer éternellement. Le Pakistan oriental finit par réclamer sa juste part du pouvoir. Son leader politique éminent, Mujibur Rahman, fonda la Ligue Awami et remporta les élections parlementaires de 1970. Cependant, le président pakistanais, le général Yahya Khan, refusa obstinément de reconnaître les résultats pendant de longs mois, plongeant le pays dans une crise profonde.
La répression se fit alors plus brutale. Le Pakistan décida de punir le Pakistan oriental en y envoyant 200 000 soldats pour écraser la révolte. Cette intervention militaire se solda par un massacre en 1971, une véritable tragédie humaine avec des estimations de victimes oscillant entre 300 000 et 500 000, les atrocités perpétrées par l’armée pakistanaise surpassant l’entendement.
L’Inde, poussée par un afflux massif de réfugiés pakistanais orientaux, notamment dans l’État de l’Assam, intervint dans le conflit. La bataille qui s’ensuivit aboutit à une victoire éclatante de l’Inde, qui captura 80 000 soldats pakistanais. Le Pakistan oriental déclara son indépendance, donnant naissance à la république islamique du Bangladesh, sous la houlette de Mujibur Rahman. Mais la tranquillité fut de courte durée. Mujibur Rahman et 27 membres de sa famille furent assassinés, ne laissant que deux survivants, dont sa fille Sheikh Hasina.
Le général Ziaur Rahman, impliqué dans cette conspiration, devint président du Bangladesh après un coup d’État. Il renversa les politiques de Mujibur Rahman, favorisant les partis islamiques bengalis alliés au Pakistan et islamisant la constitution. La scène politique bangladaise devint alors le théâtre d’une lutte acharnée entre les laïcs, fidèles à l’Inde, et les islamistes, proches du Pakistan.
Les coups d’État militaires se succédèrent jusqu’en 1990, année où le général Hussain Ershad fut évincé, permettant l’instauration d’un gouvernement démocratique élu. Ce fut le début d’une rivalité intense entre Khaleda Zia, veuve du général Ziaur Rahman, et Sheikh Hasina, fille de Mujibur Rahman. De 1991 à 2024, ces deux femmes se succédèrent au pouvoir, Sheikh Hasina gouvernant la majeure partie du temps. Leur règne fut entaché de violence politique et de misère économique, illustrée par l’effondrement de l’usine Rana Plaza en 2013, qui fit 1 300 morts et révéla les conditions d’exploitation de l’industrie textile bangladaise.
Cette industrie, fruit d’alliances entre l’armée, la bourgeoisie et les élites dirigeantes, prospéra grâce à des accords internationaux et des investissements. Malgré l’exploitation et la corruption, le système resta solidement ancré en raison de puissants intérêts économiques. Aujourd’hui, nombreux sont les Bengalis qui fuient leur pays, et Sheikh Hasina aurait également pris la fuite. Ce conflit entre liberté et démocratie au Bangladesh s’inscrit dans une lutte plus vaste pour l’influence dans le sous-continent, mêlant dynamiques internes et régionales. Les racines de cette tragédie résident dans le refus de reconnaître les résultats électoraux de 1970 et de donner aux Bengalis leur dû, ce qui aurait pu éviter tant de souffrances et de sang versé.
Pourtant, au milieu de ces épreuves, le Bangladesh ne cesse de chercher des chemins vers le progrès. Un signe de cette aspiration est la construction de sa première centrale nucléaire, réalisée en partenariat avec la Russie. Ce projet, symbole d’un désir ardent de modernité et d’autosuffisance énergétique, montre que le Bangladesh aspire à dépasser son passé tumultueux et à se tourner vers un avenir plus prometteur. Ainsi, malgré les défis, le peuple bangladais continue de bâtir son avenir avec résilience et détermination, témoignant d’une volonté inébranlable de forger une nation plus forte et plus prospère sous l’autorité civile issue d’élections libres.
Khaled Boulaziz