Leçons de nationalisme pour une caste militariste

Aussi dirai-je à cette jeunesse algérienne qui piaffe que vivre c’est choisir et non subir. Et leur rappeler ce vers de Sophocle dans Ajax :  » Ah ! Donnez-nous vos vingt ans si vous n’en faites rien ! »

Ferhat Abbas — homme d’État algérien – (1899 – 1985)

L’Algérie, imprégnée de l’épopée de son émancipation, se voit aujourd’hui enserrée dans les rets d’un paradoxe sinistre et cruel. Ce nationalisme, autrefois phare lumineux de la libération et de l’orgueil populaire, s’est métamorphosé en un artefact perverti et manipulé par une caste militariste despotique. Les élites au pouvoir, en s’appropriant et en monnayant le nationalisme, l’ont dépouillé de son essence vitale, trahissant ainsi les nobles idéaux pour lesquels tant d’âmes valeureuses se sont immolées sur l’autel de la liberté.

L’appropriation du nationalisme par les élites militaristes

Une légitimité charismatique dévoyée

À l’aube de l’indépendance en 1962, les héros de la guerre de libération transmuèrent promptement leur légitimité charismatique en un instrument implacable de domination. Les figures emblématiques telles qu’Ahmed Ben Bella et Houari Boumédiène exploitèrent leur auréole révolutionnaire pour consolider leur hégémonie, mais ce pouvoir charismatique, au lieu de s’ouvrir à la démocratie, s’est progressivement enfoncé dans les arcanes bureaucratiques et les méandres militaristes. La révolution, jadis synonyme de délivrance, s’est trouvée circonscrite à un prétexte pour l’autoritarisme.

La répression et le monopole des discours

Dans cette dystopie de contrôle omniprésent, le pouvoir s’exerce par la maîtrise et la manipulation des discours. En Algérie, ce contrôle est totalisant et totalitaire. Les élites ont instrumentalisé le discours nationaliste comme un appareil répressif, stigmatisant toute dissidence comme une perfidie envers la nation. Les institutions de surveillance omniscientes – armée, police secrète, et services de renseignement – se sont ainsi muées en bastions de l’oppression, maintenant l’ordre par la coercition, l’intimidation et l’étouffement des voix discordantes.

Une hégémonie culturelle imposée

La domination des élites repose sur une hégémonie culturelle imposée, où elles façonnent les normes et valeurs sociétales pour pérenniser leur emprise. En Algérie, cette hégémonie a pris la forme d’une identité nationale monolithique, reléguant les diversités internes à une périphérie marginalisée. Les cultures et langues indigènes, telles que le berbère, ont été réprimées sous le prétexte fallacieux de l’unité nationale. Cette imposition culturelle a engendré une fausse uniformité, exacerbant en sous-main les tensions et les conflits internes.

Les conséquences d’une nationalisation du nationalisme

Une légitimité en déclin

En s’appropriant le nationalisme, les élites militaristes ont vu leur légitimité s’éroder inexorablement. Le peuple, autrefois uni dans la quête de la liberté, se sent aujourd’hui trahi par ceux qui se drapent dans le manteau du nationalisme. La légitimité charismatique des premiers leaders a cédé la place à une pseudo-légitimité rationnelle-légale, souvent fondée sur des élections factices et une constitution remodelée à l’aune des intérêts despotiques des élites militaristes.

Un nationalisme désincarné et vidé de sa substance

Le nationalisme, réduit à un simple stratagème de propagande, a été vidé de sa substantifique moelle. Ce qui devait être un projet inclusif et émancipateur est devenu le prétexte d’une répression sourde et aveugle. Les symboles militaires, jadis étendards de la fierté nationale, sont maintenant perçus comme les instruments du contrôle et de la terreur. Le rêve d’une Algérie libre et équitable se dissipe, s’évaporant tel un mirage lointain dans le désert aride de l’autoritarisme.

Vers un retour à un nationalisme authentique

Un leadership éclairé et responsable

Il est impératif que les élites autocratiques cèdent le pas à un leadership véritablement responsable, dévoué au bien-être et à la justice pour tous les citoyens. Ce leadership doit transcender les archaïsmes de la légitimité usurpée et se fonder sur des institutions transparentes et parfaitement démocratiques. La réconciliation nationale requiert un engagement sincère envers la justice sociale et les droits humains.

Une gouvernance respectueuse de la dignité humaine

La quintessence du nationalisme authentique réside dans le respect intransigeant de la dignité humaine. Une gouvernance soucieuse des droits et de la diversité est indispensable pour reconstruire le tissu social algérien. Cela appelle à des réformes profondes et une volonté politique inébranlable de transformer les institutions répressives en véritables instruments de service public.

Un dialogue inclusif et réconciliateur

L’avenir radieux de l’Algérie repose sur un dialogue inclusif qui reconnaît et honore ses diversités culturelles et linguistiques. Il est grand temps de mettre fin à l’hégémonie culturelle imposée et de promouvoir une identité nationale intégrative, respectant les différentes composantes de la société. Ce dialogue doit être fondé sur le respect mutuel et la recherche de solutions communes pour un avenir partagé et harmonieux.

Conclusion

En nationalisant le nationalisme, les élites militaristes répressives ont trahi les idéaux sacrés de la révolution algérienne. Pour restaurer un nationalisme véritablement authentique, il est crucial de réformer la gouvernance, de respecter la dignité humaine et de promouvoir un dialogue inclusif. Seule une telle approche peut offrir à l’Algérie un avenir réconcilié et prospère, fidèle aux aspirations et aux sacrifices de ses héros.

Khaled Boulaziz