La géopolitique mondialiste du Nord riche signifie exclusivement le bien-être matériel, l’hédonisme, la société de consommation, le pseudo paradis aseptisé et artificiel de ce que Nietzsche a appelé le dernier homme. Le progrès matériel de la civilisation technique s’est accompagné d’une monstrueuse régression spirituel de la culture sacrée, par conséquent du point de vue de la tradition, la richesse du Nord avancé moderne ne peut pas servir de critère de véritable supériorité sur la pauvreté matérielle et l’arriération technique du Sud primitif moderne.
Alexandre Douguine – Philosophe Russe
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, le concept de « monde russe » s’est imposé en Russie comme une idéologie proprement russe, ancrée historiquement et civilisationnellement, et caractérisée par une vision eschatologique chrétienne orthodoxe. Cette idée se déploie à travers les concepts de Katehon, de Moscou comme troisième Rome et de la symphonie des pouvoirs, représentant ainsi les trois piliers religieux, historiques et eschatologiques de cette vision du monde. Ignorer ces dimensions revient à ne rien comprendre à la géopolitique russe et à l’imaginaire qui anime ce peuple à l’histoire millénaire, et que les événements à partir de 2014 en Crimée puis en Ukraine n’ont fait que réveiller. Le printemps « russe » est la conscientisation de cet imaginaire, à travers notamment une opposition sans compromis à l’hégémonie occidentale et au règne de l’Antéchrist.
Les racines du monde russe
Un ancrage historique et civilisationnel
Le « monde russe » puise ses racines dans une histoire millénaire, où chaque période de l’histoire russe est perçue comme un maillon d’une chaîne ininterrompue. Cette continuité historique est essentielle pour comprendre le sentiment d’unité et de mission qui anime le peuple russe. Depuis la fondation de la Rus’ de Kiev, en passant par l’Empire russe et l’Union soviétique, jusqu’à la Fédération de Russie actuelle, chaque époque est vue comme une étape dans la réalisation d’un destin historique.
L’héritage de la Rus’ de Kiev
La Rus’ de Kiev est souvent considérée comme le berceau de la civilisation russe. C’est là que le prince Vladimir adopta le christianisme en 988, établissant ainsi les fondements de la foi orthodoxe russe. Cet événement est vu comme un acte fondateur qui a scellé le destin de la Russie comme bastion de l’orthodoxie chrétienne. La continuité avec cet héritage est cruciale pour l’identité russe contemporaine, qui se voit comme la gardienne des traditions spirituelles et morales initiées à Kiev.
La vision eschatologique
Une perspective chrétienne orthodoxe
L’eschatologie chrétienne orthodoxe joue un rôle central dans la conception du monde russe. La croyance en un futur déterminé par la volonté divine, où la Russie joue un rôle crucial, confère à cette vision du monde une dimension quasi mystique. Cette perspective eschatologique se manifeste dans la manière dont les Russes interprètent les événements politiques et sociaux, les voyant souvent comme des signes ou des étapes dans la réalisation d’un plan divin.
Le rôle de la Russie dans l’histoire du salut
Selon cette vision, la Russie est appelée à jouer un rôle unique dans l’histoire du salut, en tant que défenseur des valeurs chrétiennes et adversaire des forces du mal. Cette mission eschatologique renforce le sentiment d’une destinée spéciale pour la Russie, destinée à être un rempart contre l’Antéchrist et ses alliés. Cette conception trouve son expression dans les discours politiques et religieux, où la Russie est souvent présentée comme le dernier rempart contre la décadence occidentale.
Les trois piliers de l’idéologie russe
Katehon : le défenseur de la foi
Le Katehon est un concept théologique qui désigne celui qui retient l’avènement de l’Antéchrist. Dans le contexte russe, il est souvent interprété comme la Russie elle-même ou son dirigeant, jouant le rôle de défenseur de la foi et des valeurs chrétiennes contre les forces du mal. Ce concept renforce l’idée de la Russie comme un bastion contre l’hégémonie occidentale perçue comme décadente et antichrétienne. Le Katehon est donc une figure de résistance et de protection, incarnant la mission sacrée de la Russie.
Moscou comme troisième Rome : une mission spirituelle
L’idée de Moscou comme troisième Rome émerge au XVe siècle, après la chute de Constantinople. Elle postule que Moscou est la successeur spirituelle de Rome et de Byzance, destinée à préserver l’orthodoxie chrétienne. Cette vision confère à la Russie une responsabilité historique et divine, justifiant son rôle de leader spirituel et moral dans le monde orthodoxe. Moscou est vue comme la nouvelle Jérusalem, un centre spirituel destiné à guider le monde chrétien vers la vérité et la lumière.
La symphonie des pouvoirs : harmonie entre l’Église et l’État
La symphonie des pouvoirs est une notion décrivant l’harmonie entre l’Église et l’État. En Russie, cette symphonie est perçue comme un idéal où l’Église et le gouvernement travaillent ensemble pour le bien commun, en opposition à la séparation stricte des pouvoirs en Occident. Ce modèle soutient une vision unifiée et centralisée du pouvoir, renforçant la stabilité et l’autorité du gouvernement russe. La symphonie des pouvoirs est donc une expression de l’unité nationale et spirituelle, où chaque institution joue son rôle dans le cadre d’une mission commune.
La géopolitique russe contemporaine
La Crimée et l’Ukraine : une réaffirmation de l’identité russe
Les événements de 2014 en Crimée et en Ukraine ont ravivé les idéologies du monde russe, présentant la Russie comme un défenseur des Russes ethniques et des valeurs orthodoxes face à l’expansion occidentale. L’annexion de la Crimée et le soutien aux séparatistes en Ukraine sont perçus comme des actes de défense légitime contre l’encerclement et l’agression occidentale. Ces actions sont vues comme une réponse à une menace existentielle, visant à protéger l’identité et la souveraineté russes.
Opposition à l’hégémonie occidentale
L’idéologie du « monde russe » s’oppose fermement à l’hégémonie occidentale, considérée comme une menace pour l’identité et les valeurs russes. Cette opposition se manifeste dans la politique étrangère russe, qui cherche à contester l’influence occidentale et à promouvoir un monde multipolaire respectant la souveraineté et les valeurs de chaque nation. La Russie se voit comme un champion de la justice et de l’équilibre mondial, contre les ambitions impérialistes de l’Occident.
Conclusion
Le concept de « monde russe » et ses piliers idéologiques offrent une clé essentielle pour comprendre la politique et la géopolitique russes contemporaines. Ignorer ces dimensions, c’est risquer de passer à côté de la profondeur de l’imaginaire collectif russe et de ses motivations. Les événements en Crimée et en Ukraine ne sont pas des anomalies, mais des expressions de cette conscience historique et eschatologique, opposée à l’hégémonie occidentale et déterminée à jouer un rôle unique dans l’histoire mondiale.
La Russie, dans sa quête de reconnaissance et de respect sur la scène internationale, se tourne vers ses racines historiques et spirituelles pour trouver la force et la justification de ses actions. Le monde russe, avec sa vision eschatologique et ses piliers idéologiques, reste une force vive et influente dans la géopolitique mondiale, offrant une alternative à l’ordre mondial dominé par l’Occident. Dans ce contexte, comprendre le monde russe est essentiel pour toute analyse sérieuse des relations internationales et des dynamiques de pouvoir contemporaines.
Leçons pour l’Algérie
Quoique l’Algérie ne saurait être la Russie, notre pays devrait étudier ce réveil pour en tirer des leçons qui peuvent aider à une vision claire du futur de la nation algérienne. L’Algérie possède elle aussi une riche histoire, un patrimoine culturel unique et une identité nationale forte qui peuvent être des piliers pour construire un avenir prospère. En observant comment la Russie a su mobiliser ses ressources historiques et spirituelles pour renforcer sa position sur la scène mondiale, l’Algérie peut trouver des stratégies pour valoriser ses propres atouts.
Renforcer l’identité nationale
L’un des aspects clés du renouveau russe a été la réaffirmation de son identité nationale à travers l’histoire et la culture. L’Algérie peut s’inspirer de cette approche en renforçant l’enseignement de son histoire, de sa langue et de sa culture dans les programmes éducatifs. Une conscience nationale forte peut servir de base à une cohésion sociale et à un développement durable.
Valoriser le patrimoine spirituel et culturel
Tout comme la Russie a puisé dans son héritage orthodoxe, l’Algérie peut valoriser son patrimoine islamique et berbère pour renforcer le sentiment d’appartenance et de fierté nationale. La promotion de ce patrimoine à travers des initiatives culturelles et éducatives peut jouer un rôle crucial dans la consolidation de l’identité algérienne.
Promouvoir une vision stratégique de la géopolitique
L’Algérie, comme la Russie, est confrontée à des défis géopolitiques complexes. En développant une vision stratégique claire basée sur ses intérêts nationaux et ses atouts régionaux, l’Algérie peut mieux naviguer dans le paysage international. Cette vision doit inclure la diversification des partenariats économiques et politiques, tout en affirmant sa souveraineté et son indépendance.
Encourager la symphonie des pouvoirs
Enfin, l’Algérie peut tirer des enseignements de la symphonie des pouvoirs en Russie en recherchant une meilleure harmonie entre les différentes institutions de l’État. Une coopération efficace entre le gouvernement, la société civile et les institutions religieuses peut contribuer à la stabilité et au développement du pays.
En conclusion, l’Algérie peut apprendre de l’expérience russe en adaptant les principes de renouveau et de réaffirmation nationale à son propre contexte. En valorisant son histoire, sa culture et son patrimoine, tout en développant une vision géopolitique claire et stratégique, l’Algérie peut aspirer à un avenir marqué par la prospérité et la souveraineté. Pour cela, il est crucial que l’Algérie soit dirigée par un pouvoir issu d’urnes propres et honnêtes, capable de rassembler toutes les composantes de la nation autour d’un projet commun et ambitieux pour l’avenir du pays.
Khaled Boulaziz