La vérité, quoique sans pouvoir et toujours défaite quand elle se heurte de front au pouvoir en place quel qu’il soit, possède une force propre : quoique puissent combiner ceux qui sont au pouvoir, ils sont incapables de découvrir ou d’inventer un substitut viable. La persuasion et la violence peuvent détruire la vérité, mais ils ne peuvent la remplacer.
Michel Foucault, Philosophe
Recouvrir la liberté d’expression de la caste militariste est la condition sine qua non pour une liberté du peuple dans toutes les activités, y compris la lecture. Ne mettons pas la charrue avant le bœuf. Cette régression culturelle effarante que nous observons en Algérie est due à une combinaison de facteurs, incluant l’obscurantisme clérical et laïc. Se libérer de cette caverne culturelle et intellectuelle exige une émancipation de ces deux formes de domination.
La personne qui se plaint de la médiocrité des enseignants, du manque de livres et de librairies, doit prendre l’initiative de parfaire ses connaissances. Des ressources sont disponibles en ligne, et il faut avoir la volonté de les chercher et de les exploiter. Cependant, cette lutte pour la lecture et, par extension, pour la liberté, ne peut être menée de manière isolée. Elle nécessite un engagement collectif et une volonté partagée de surmonter les obstacles imposés par le régime.
En Algérie, les plus clairvoyants constatent l’effarante régression culturelle. Mais se trompe, par ignorance ou par opportunisme, celle ou celui qui en voit la cause uniquement dans l’influence cléricale obscurantiste. Une autre cause, tout aussi grave, plus insidieuse, se présente dans les meilleures apparences et intentions : elle s’autoproclame progressiste, démocrate, éclairée, cultivée, moderne et autres adjectifs d’auto-célébration tel le recours aux termes icône, monument, immense, etc.
Lire en Algérie devient donc un acte de défiance contre ces deux formes d’obscurantisme : clérical et laïc. La lecture permet de sortir de l’ignorance, de réfléchir de manière critique et de questionner les structures établies. Cependant, cet acte subversif est entravé par des forces puissantes. Depuis des décennies, l’Algérie est prise dans les serres d’un pouvoir autoritaire, où la mainmise de l’armée sur les institutions étouffe toute velléité de réforme et de progrès.
Le régime militariste craint la dissidence intellectuelle plus que toute autre forme de résistance. Car c’est dans les pages des livres, dans le souffle des mots et des idées, que réside la menace la plus insidieuse contre l’ordre établi. La lecture incite à la réflexion critique, à la remise en question des dogmes imposés, à la découverte de perspectives alternatives. Elle est, en un sens, l’antithèse de la soumission aveugle.
L’histoire de l’Algérie moderne est jalonnée d’exemples où le pouvoir a tenté de museler les voix dissidentes. La censure, sous ses multiples formes, n’a jamais cessé de peser sur les écrivains, les journalistes et même sur le citoyen lambda. Dans un tel climat, lire devient un acte de défiance, une posture presque révolutionnaire. Mais hélas, l’effort pour maintenir la population dans une forme d’ignorance politique et sociale a souvent porté ses fruits. L’éducation, bien que gratuite et accessible, reste insuffisante pour éveiller les consciences sur les questions cruciales de liberté et de démocratie.
Le système éducatif lui-même est miné par des programmes obsolètes, où la pensée critique est rarement encouragée. Les livres, lorsqu’ils ne sont pas simplement absents, sont soigneusement sélectionnés pour leur conformité aux normes idéologiques du régime. La littérature, qui pourrait être un puissant vecteur de changement, se trouve réduite à un rôle décoratif, incapable de susciter l’intérêt et la passion chez les jeunes générations.
Pourtant, malgré cet étouffement systématique, il existe des foyers de résistance intellectuelle. De courageux écrivains, poètes et penseurs continuent de produire des œuvres qui défient le statu quo, qui interrogent et dérangent. Ces figures, souvent marginalisées ou persécutées, incarnent l’espoir d’une renaissance culturelle et politique. Leurs écrits, bien que parfois clandestins, circulent et trouvent leur public, petit, mais dévoué. Ils sont les gardiens d’une flamme fragile, mais persistante, qui pourrait, un jour, embraser la conscience collective et précipiter un changement véritable.
Il est crucial de comprendre que la lecture ne se limite pas à une simple activité intellectuelle. Elle est profondément liée à la notion de liberté. Une population éduquée et informée est mieux équipée pour exercer ses droits civiques, pour participer activement à la vie publique et pour résister aux abus de pouvoir. En ce sens, encourager la lecture en Algérie revient à semer les graines de la démocratie. C’est un acte de foi en l’avenir, une affirmation de la dignité humaine face à l’oppression.
En réponse directe à cet article, il est évident que la régression culturelle en Algérie n’est pas seulement due à une influence cléricale obscurantiste. Une autre cause, plus insidieuse, est l’élite autoproclamée progressiste, qui souvent ne fait que perpétuer une médiocrité arrogante. Ces élites, qu’elles soient médiatisées ou non, doivent être interpellées sur leur connaissance et leur compréhension des grandes œuvres et pensées mondiales, comme cela est détaillé dans l’enquête mentionnée.
En effet, la mère des questions est de savoir si les élites algériennes lisent suffisamment pour mériter l’adjectif éclairées. Il ne s’agit pas de posséder une tête bien pleine, mais bien faite, comme le dit Montaigne. Il est évident que certaines personnalités algériennes cultivées et éclairées existent, mais elles sont ostracisées, diffamées ou ignorées. Les médias et les structures officielles de connaissances culturelles préfèrent le béni-oui-ouisme, le clanisme et le copinage.
En conclusion, l’entreprise salvatrice de la culture en Algérie est difficile, mais elle n’est pas impossible. Elle nécessite une volonté collective de changement et une détermination à surmonter les obstacles imposés par le régime. En s’inspirant des patriotes qui ont libéré l’Algérie de la domination coloniale, il est possible de hisser l’Algérie à un niveau culturel convenable, ou au moins de semer des graines pour une récolte future. Recouvrir la liberté d’expression de la caste militariste est la condition sine qua non pour une liberté du peuple dans toutes les activités, y compris la lecture. Là est le seul chemin du salut pour la nation algérienne.
Khaled Boulaziz