Je ne serai pas un trois-quart président.
Abdelaziz Bouteflika
L’Algérien Abdelaziz Bouteflika, qui régna sur El Djazair durant deux décennies entières, navigua entre des opportunités manquées et des échecs retentissants. Son passage, marqué par une réconciliation inachevée, une crise socio-économique perpétuelle et un système politique en désarroi, illustre toutes les difficultés pour parachever la construction de l’État-nation.
L’histoire, se rappelle de lui comme le premier à ouvrir la voie de la politique souterraine, en offrant secrètement le pouvoir à Ben Bella, un acte fondateur qui préside désormais aux destinées de la nation algérienne. Cette manœuvre politicienne inaugura une nouvelle ère, celle de la domination silencieuse et des tractations secrètes, qui allait marquer durablement le paysage politique du pays.
Bouteflika nourrissait le rêve grandiose de marquer l’histoire de son empreinte indélébile, aspirant à devenir le patriarche du peuple, à l’image de ses illustres prédécesseurs, dont l’ombre tutélaire planait sur son parcours. Ayant gravé dans la mémoire collective ses années de loyaux services diplomatiques, son retour aux affaires du pays, à la fin de la décennie noire, évoquait l’image rassurante d’une époque glorieuse, contrastant avec les années de cendres et de sang de la guerre civile.
Écarté jadis des cercles du pouvoir, contraint à l’exil dans des contrées lointaines, Bouteflika revient auréolé d’une popularité sans égale, mais habité par une soif inextinguible de revanche contre ceux qui l’avaient éloigné de la succession. De retour triomphal, il se déclara l’incarnation même de l’Algérie, un verbe audacieux affirmant sa pleine identification avec le peuple algérien tout entier.
Sa popularité, autrefois ancrée solidement sur les vagues opulentes des prix pétroliers prospères et la paix civile habilement négociée, commença à se dissoudre sous le poids des espoirs non comblés. Bouteflika, en délicat duel avec les généraux janviéristes et animé par un désir brûlant de marquer l’histoire de son empreinte indélébile, se transforma en un maître du pouvoir et des intrigues, détournant ainsi les nobles idéaux d’un visionnaire d’État vers les méandres des machinations et des desseins personnels.
Le mépris qu’il afficha pour la société civile et les médias, creusant un fossé béant entre lui et son peuple, et sa propension à favoriser des hommes d’affaires cupides, ont précipité sa chute. Fort de revenus pétroliers colossaux, il prenait des décisions sans consulter, muselant toute l’opposition, même celle au sein de l’institution militaire et méprisant ceux qui osaient se dresser contre lui.
Ce comportement autocratique retarda inéluctablement tous les projets de réformes politiques, institutionnelles et économiques. L’absence totale d’une diplomatie active devint plus criante encore après l’accident vasculaire cérébral qui l’affaiblit considérablement, laissant libre cours aux querelles intestines entre les factions rivales de son entourage.
La volonté de briguer un cinquième mandat déclencha des manifestations populaires massives, exigeant davantage de démocratie, ce qui le contraignit à se retirer du pouvoir dans l’humiliation.
Durant ces vingt années, ses ambitions personnelles et les aspirations de l’État algérien restèrent inassouvies. L’accumulation des occasions manquées fut telle que les institutions de l’État, jadis robustes, se trouvèrent dans un état de faiblesse, de division et de discrédit sans précédent.
Parti sans être tenu pour responsable des errances de son règne, Bouteflika emporta avec lui une myriade de secrets, érodant encore davantage la confiance du peuple en ses dirigeants. Certains observateurs, en quête de lumière, mettent en garde contre la tentation de lui imputer tous les maux de l’Algérie. Ils rappellent que ses premiers mandats avaient élargi les horizons de la liberté d’expression, inauguré d’ambitieux projets d’infrastructure, rehaussé le pouvoir d’achat et réduit le taux de chômage. Dans l’effort suprême qu’il consentit pour rétablir la paix, il affronta les véritables artisans de la décennie noire et la tempête menaçante qui risquait d’engloutir la nation, manquant de peu de perdre la vie lors de l’attentat à la bombe de Batna en septembre 2007.
Les vicissitudes, quoiqu’éclatantes sous son règne, ne prirent point naissance avec lui ; elles étaient le legs funeste d’une profondeur politique et économique enracinée dans les âges antérieurs à son ascension. Si, par une illusion fugace, la violence s’est évanouie de l’existence des Algériens, l’étreinte de fer avec laquelle le régime opère continue de sévir dans une Algérie enchaînée, soumise, silencieuse et éternellement patiente.
Khaled Boulaziz