Algérie : Une aristocratie militaire et ses escadrons de la mort

Un éminent sociologue et politologue, professeur émérite à Sciences Po Lyon, récemment invité à donner une conférence sur le Hirak, a qualifié la junte au pouvoir en Algérie d’aristocratique. (1)

Cet érudit sait pertinemment que cette caste ne mérite en aucun cas cette appellation. Ses propos, loin d’être une évaluation objective, sont une insulte à l’intelligence du peuple algérien.

L’Algérie, qui a arraché son indépendance en 1962 au prix d’innombrables sacrifices, a connu une décennie sombre et sanglante dans les années 90. Cette guerre civile, résultat d’un usurpateur arrogant et de factions islamistes déchaînées, est devenue le théâtre de toutes les trahisons et les cruautés. Les espoirs d’une nation furent piétinés par une soldatesque meurtrière, tandis que les idéaux de justice et de démocratie furent noyés dans un bain de sang.

Contexte historique

En 1962, l’Algérie accéda à son indépendance, libérée du joug colonial français après une guerre dévastatrice. Cependant, la naissance de cette jeune république fut rapidement accaparée par une élite militaire. Sous la houlette d’Houari Boumédiène, un groupe connu sous le nom du groupe d’Oujda et ses bataillons frontaliers ravirent le pouvoir en érigeant un régime à la fois autoritaire et clientéliste. Formant une caste militariste que certains, comme ce sociologue, qualifièrent d’aristocratique, ils s’enfermèrent au fil des décennies dans un carcan de corruption et d’autoritarisme, éloignant de plus en plus les aspirations du peuple algérien.

Traditionnellement, une aristocratie désigne une classe sociale dominante, souvent caractérisée par des privilèges héréditaires, un certain raffinement culturel et une influence politique. En revanche, l’élite militaire algérienne était consolidée non pas par des droits héréditaires, mais par la force, la coercition, et un réseau de loyauté basé sur le contrôle et la seule force d’arme. Ce pouvoir s’exerçait non par la culture ou la noblesse d’esprit, mais par la répression et la violence, dont certains affirment incarnée par des escadrons de la mort.

Durant les années 80, le mécontentement grandissait. Les jeunes, en particulier, se sentaient trahis par un régime qui ne leur offrait ni liberté ni opportunités économiques. La situation s’aggrava en 1988 avec des émeutes sanglantes réprimées par l’armée, marquant un tournant dans le rapport de force entre l’État et la population.

La victoire électorale des islamistes

En 1990, dans un geste perçu comme une ouverture démocratique, des élections législatives furent organisées. Contre toute attente, le Front Islamique du Salut (FIS) remporta une victoire écrasante. Ce résultat reflétait non seulement le désespoir de la population face au régime militaire, mais aussi une volonté de changement radical.

La victoire du FIS provoqua une onde de choc parmi les élites militaires et laïques. Incapables de concevoir une Algérie gouvernée par des islamistes, ces dernières décidèrent de frapper un coup fatal à cette montée en puissance religieuse. Le 11 janvier 1992, l’armée, sous couvert de maintenir l’ordre, annula les résultats électoraux, mettant ainsi fin à la brève lueur d’espoir démocratique.

L’intervention militaire et l’annulation des élections

L’annulation des élections et la déclaration de l’état d’urgence plongèrent le pays dans une nuit sans fin. Les dirigeants militaires, refusant de céder le pouvoir, lancèrent une vaste campagne de répression contre les membres et sympathisants du FIS. Les arrestations massives et les tortures devinrent monnaie courante, visant à étouffer toute velléité de résistance.

Cette intervention brutale, loin de pacifier la nation, attisa la colère et la frustration. Des milliers de militants et de civils, pris dans l’étau de la répression, virent leurs rêves d’une Algérie juste et démocratique s’évaporer sous les coups de l’arbitraire militaire.

Les escadrons de la mort et la répression

Au cœur de cette répression aveugle, les escadrons de la mort jouèrent un rôle sinistre. Composés de militaires et de policiers zélés, ces groupes paramilitaires semaient la terreur. Des villages entiers furent pris d’assaut, des familles décimées, et des milliers de disparus ne furent jamais retrouvés. Les témoignages de torture, de viols, et d’exécutions sommaires émergèrent, peignant un tableau d’horreur qui hante encore la mémoire collective.

La population civile, otage de cette violence inouïe, vivait dans la peur constante. Chaque nuit apportait son lot de disparitions mystérieuses et de cadavres abandonnés, marquant les esprits d’une angoisse indélébile. Le régime militaire, en s’engageant sur cette voie de répression féroce, sacrifiait l’âme de la nation sur l’autel de son maintien au pouvoir.

Les chemins de la violence

Face à cette répression, les islamistes prirent les armes. Des groupes armés émergèrent, déterminés à combattre un régime qu’ils considéraient illégitime. Les années suivantes furent marquées par une violence symétrique, où chaque camp rivalisait de brutalité.

Les massacres perpétrés par les islamistes ne firent qu’ajouter à la souffrance de la population. Des villages entiers furent massacrés, des infrastructures détruites, et la peur devint le quotidien des Algériens. La guerre civile se transforma en une guerre d’usure, où aucune des parties ne parvenait à prendre le dessus, et où les civils payaient le prix fort.

Le conflit attira également des combattants étrangers, venus prêter main-forte aux islamistes, complexifiant encore la situation. Les influences extérieures, ajoutées à l’intransigeance des belligérants, contribuèrent à prolonger ce cauchemar national.

Conclusion

La décennie noire des années 90 en Algérie laisse un héritage de sang et de dévastation. Les rêves brisés d’une démocratie naissante, les crimes des escadrons de la mort, et la violence aveugle des islamistes ont gravé dans la mémoire collective une cicatrice profonde. Cette période sombre appelle à une réflexion sur le coût humain et politique de la guerre civile, et sur les chemins possibles vers une réconciliation et une justice véritables.

L’Algérie, marquée par ces années de souffrance, continue de chercher sa voie dans la douleur vers un avenir de paix et de démocratie, pour lesquelles des centaines de milliers d’Algériens ont consenti à l’ultime sacrifice.

À notre érudit, nous lui dédions cette vérité : cette caste militariste qui prit le pouvoir en Algérie, ne saurait être aristocratique, dût-elle mourir et renaître à l’infini.

Khaled Boulaziz

  1. https://irzazen.net/video-lahouari-addi-algerie-le-hirak-4-ans-apres/