Algérie : le 5 juillet 1962, l’indépendance sous le coup d’État permanent

L’étiquette fallacieuse d’État progressiste ne trompe personne. Le progrès humain est global. Il est moral avant d’être matériel. On n’édifie pas ce progrès dans l’injustice sociale et l’asservissement de l’homme, et sans avoir consulté ceux qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie devienne indépendante.

Ferhat Abbas – homme d’État algérien – (1899 – 1985)

Introduction

L’indépendance de l’Algérie, obtenue en juillet 1962, a été marquée par des conflits internes qui ont révélé les tensions profondes au sein du mouvement nationaliste et de la société algérienne. Ces conflits ont fait échouer la création de l’État-nation et façonné la nature du régime politique, donnant naissance à un système autoritaire dominé par l’armée.

Conflits internes et exacerbation des identités

Les premières années post-indépendance ont été marquées par des luttes intestines entre les maquisards de l’intérieur et les membres de l’armée des frontières. Les tensions identitaires entre arabisme et berbérisme ont exacerbé ces conflits. La guerre des sables avec le Maroc, souvent perçue comme une diversion des problèmes internes, a intensifié ces divisions. Dans ce climat chaotique, le Système algérien a émergé, consolidant son pouvoir.

L’armée des frontières contre le GPRA

En 1958, la création du Gouvernement Provisoire de la République algérienne (GPRA) à Tunis a déclenché des conflits entre trois factions principales :

  • Conflit au sein du GPRA : Le noyau dur, composé de Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobbal, s’opposait aux cinq dirigeants nationalistes détenus en France : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mostefa Lacheraf et Mohamed Khider.
  • Tensions entre le GPRA et l’ALN : L’Armée de Libération Nationale (ALN), cantonnée au Maroc et en Tunisie, revendiquait son autorité face au GPRA.
  • Lutte entre l’armée des frontières et les maquis de l’intérieur : Les maquisards obéissaient au GPRA, tandis que l’armée des frontières soutenait l’État-major général (EMG) dirigé par Houari Boumediène.

La prise de pouvoir par l’armée des frontières

La consolidation du pouvoir par l’armée des frontières, souvent désignée comme le groupe d’Oujda , s’est déroulée en plusieurs étapes cruciales :

  • Mai 1962 : Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène somment le GPRA de convoquer le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) en congrès, créant un bureau politique sous leur contrôle.
  • 28 mai 1962 : Les tensions au sein du GPRA éclatent. Ben Bella et ses partisans imposent un modèle socialiste et un parti unique, marginalisant les ministres du GPRA.
  • Tentatives de médiation : Les combattants des maquis et les wilayas forment un « comité interwilaya » pour condamner la rébellion de l’EMG.
  • Mobilisation militaire : Le GPRA destitue l’EMG, mais Ben Bella et Boumediène mobilisent l’armée des frontières pour se préparer à entrer en Algérie.
  • Confrontation finale : En septembre 1962, Ben Bella et Boumediène entrent à Alger à la tête de l’armée des frontières, affaiblissant le GPRA.

Le Coup d’État permanent

Les élections à l’Assemblée constituante du 20 septembre 1962 se déroulent sous strict contrôle. Ferhat Abbas est élu président de l’Assemblée nationale et proclame la République algérienne démocratique et populaire. Ben Bella est désigné pour former le premier gouvernement, et Boumediène devient ministre de la Défense. Le Front de libération nationale (FLN) devient le parti unique.

Réactions et opposition

Les anciens combattants de l’intérieur et divers responsables politiques s’opposent à ce coup de force. En septembre 1963, une tentative de rébellion est lancée par des cadres des wilayas, mais la guerre des sables avec le Maroc réconcilie temporairement les factions internes.

En juillet 1964, face à la dérive autoritaire du régime, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf créent le Conseil national de défense de la révolution (CNDR). La répression du régime est sévère, avec des exécutions et des emprisonnements de leaders rebelles.

Conclusion

Le mythe d’une révolution unie a éclaté face aux réalités claniques, donnant naissance à un système politique autoritaire où le pouvoir militaire a prévalu sur les aspirations démocratiques. Le Système algérien est ainsi né, structuré autour d’une centralisation du pouvoir et d’un parti unique, consolidant l’hégémonie de l’armée sur les affaires politiques.

Depuis le 5 juillet 1962, date de son indépendance, l’Algérie vit sous un coup d’État permanent, celui qui a propulsé les militaires au pouvoir au détriment des civils. Une situation qui a donné naissance à l’État-régime au lieu de l’État-nation. Il est crucial pour chaque Algérien de définir clairement sa position. Le silence profite au pouvoir, qui impose un régime fait de contraintes et d’arbitraire. Depuis cet été fatidique de 1962, la dictature s’est installée et ses dérives peuvent être résumées comme suit :

  • Absence totale de liberté d’expression et d’opinion : Les lois répressives ont étouffé toute critique du pouvoir.
  • Contrôle absolu des médias : L’information est monopolisée par des organes étatiques, créant une propagande unilatérale.
  • Renforcement de l’appareil policier : Une hiérarchie parallèle et des méthodes de gangstérisme hors de tout contrôle juridique.
  • Présence d’un appareil militaire surdimensionné : Incompatible avec les ressources économiques du pays.
  • Appel démagogique aux foules : Exploitation des sentiments populaires au lieu de consultations démocratiques réelles.
  • Diversions face aux difficultés : Complots et intimidations pour maintenir le régime en place.

La caste militariste, aux confins d’une violence inouïe, continue de s’accrocher au pouvoir, telle une bête blessée refusant de céder. Consciente de son destin funeste, elle choisit la force pour prolonger son règne éphémère. Dans les années 90, cette obstination aveugle embrasa la nation, déclenchant une guerre civile dévastatrice qui arracha plus de 250 000 âmes à la vie. Mais cette tragédie, bien qu’incommensurable, trouve ses racines dans un acte originel de trahison : le coup d’État du groupe d’Oujda contre le GPRA en 1962. Ce jour fatidique, le destin de la nation algérienne fut scellé par la violence et les ambitions insatiables, ouvrant une plaie béante dans l’histoire, où les échos des rêves brisés résonnent encore dans les cœurs endeuillés.

Khaled Boulaziz