Algérie : D’une révolution à l’autre ? La métamorphose du complexe État-régime

Les dictatures militaires modernes, en dissimulant leur visage sous les atours du pouvoir civil, cherchent à légitimer leur autorité en utilisant les structures et les langages du gouvernement démocratique, tout en maintenant un contrôle rigide et répressif sur la société.

Introduction

L’article « Algeria: From One Revolution to the Other? The Metamorphosis of the State-Regime Complex » de Mohammed Hachemaoui fournit une analyse critique de la trajectoire politique de l’Algérie. Contrairement au récit dominant de l’histoire algérienne comme une série de révolutions, Hachemaoui soutient que l’évolution politique du pays est mieux comprise à travers le prisme d’un complexe état-régime prétorien, caractérisé par une restructuration néolibérale et l’influence pernicieuse d’un État profond. Cet article explore les dimensions historiques et contemporaines du paysage politique algérien, examinant comment le mouvement hirak récent, malgré son radicalisme apparent, a finalement renforcé le statu quo autoritaire.

Contexte historique : La genèse du complexe État-régime

L’histoire postcoloniale de l’Algérie est souvent décrite comme une lutte continue pour une véritable indépendance et démocratie. Le récit typique met en avant la transition d’un « État-Parti » à un « péril islamiste », une « guerre civile » et une « autocratie ». Cependant, Hachemaoui affirme que ce récit simplifie à outrance les complexités du développement politique de l’Algérie.

La formation du complexe État-régime algérien remonte aux dynamiques contre-révolutionnaires des années 1950. Le coup d’État militaire de 1992, mal caractérisé comme le début d’une guerre civile, était en réalité une restructuration néolibérale féroce. Cette période a vu la réinvention de l’État-garnison, mêlant violence d’État et crime organisé. L’influence de l’État profond est devenue plus prononcée, manipulant les résultats politiques et maintenant une façade de démocratie tout en consolidant le contrôle autoritaire.

Le rôle de l’armée et de l’État profond

L’armée algérienne a joué un rôle crucial dans la formation du paysage politique du pays. Depuis la guerre d’indépendance, l’armée a agi comme une force politique indépendante, intervenant de manière décisive dans les affaires politiques. Cela a conduit à la formation d’un « État-garnison », où les spécialistes de la violence sont le groupe le plus puissant de la société.

Le rôle de l’État profond dans les dynamiques politiques algériennes ne peut être sous-estimé. Tirant les leçons de la contre-révolution égyptienne de 2013, l’État profond algérien a orchestré les manifestations de rue anti-Bouteflika V. Cette manipulation visait à maintenir le statu quo autoritaire tout en projetant une image de soulèvement populaire et de changement politique.

Restructuration néolibérale et crime organisé

La restructuration néolibérale de l’État algérien a commencé en 1992 avec le coup d’État militaire. Cette période a marqué un virage significatif vers un modèle économique néolibéral, caractérisé par la privatisation, la déréglementation et les mesures d’austérité. Le processus de restructuration a été accompagné d’une montée du crime organisé, brouillant les lignes entre l’autorité de l’État et l’activité criminelle.

L’intégration du crime organisé dans l’appareil d’État a permis à l’État profond de maintenir son contrôle sur l’économie et le système politique. Cette fusion d’éléments étatiques et criminels a facilité la mise en œuvre des politiques néolibérales, souvent aux dépens de la population générale.

Le mouvement Hirak : Une façade de changement

Le mouvement hirak, qui a débuté en février 2019, est présenté comme une perturbation majeure du régime autoritaire algérien. Le mouvement, caractérisé par de vastes manifestations de rue, a conduit à la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Cependant, Hachemaoui soutient que le mouvement hirak, malgré son apparence radicale, a finalement contribué à figer le statu quo autoritaire.

L’attitude antipolitique du mouvement et sa célébration de la fraternité avec l’armée ont détourné l’attention des conflits sous-jacents au sein du complexe état-régime. En se concentrant sur des changements superficiels, le hirak a évité de traiter les problèmes plus profonds du néolibéralisme prétorien et de la violence d’État. Cet évitement structurel a permis à l’État profond de maintenir son emprise sur le pouvoir, renforçant la « mise en cage » du peuple algérien.

La persistance de l’autoritarisme

L’analyse de Hachemaoui met en lumière la résilience des structures autoritaires en Algérie. Malgré des périodes de libéralisation politique apparente et de démocratisation, le complexe état-régime sous-jacent est resté intact. La manipulation stratégique des événements politiques par l’État profond et sa capacité à s’adapter aux circonstances changeantes ont assuré la persistance de l’autoritarisme.

Le concept de « pouvoir d’État », tel que défini par Michael Mann, est crucial pour comprendre les dynamiques du complexe état-régime algérien. Mann distingue le pouvoir « despotique », exercé par l’élite de l’État sans négociation avec la société civile, et le pouvoir « infrastructurel », qui permet à l’État de pénétrer et de contrôler la société. En Algérie, la combinaison de ces formes de pouvoir a créé un régime autoritaire robuste et durable.

La caste militariste et l’État-régime

En outre, il est essentiel de comprendre que la caste militariste en Algérie s’est construite un État-régime pour servir ses propres intérêts, en opposition à un État-nation destiné à servir les intérêts du peuple. Ce complexe état-régime est conçu pour protéger et promouvoir les privilèges de l’élite militaire, souvent au détriment des aspirations démocratiques et économiques du peuple algérien. Cette dichotomie entre l’État-régime et l’État-nation est au cœur de l’analyse de Hachemaoui, soulignant la nature fondamentalement autoprotectrice de l’élite militaire.

Conclusion

L’article de Mohammed Hachemaoui fournit une perspective nuancée et critique sur la trajectoire politique de l’Algérie. En remettant en question le récit dominant de la révolution continue, Hachemaoui met en lumière l’interaction complexe de la restructuration néolibérale, de la violence d’État et de la manipulation par l’État profond qui a façonné l’histoire moderne de l’Algérie. Le mouvement hirak, malgré sa promesse initiale de changement, a finalement renforcé le statu quo autoritaire, soulignant la résilience et l’adaptabilité du complexe état-régime algérien. Comprendre ces dynamiques est essentiel pour toute analyse significative du passé, du présent et de l’avenir politique de l’Algérie.

Khaled Boulaziz

Références

  1. Hachemaoui, M. (2020). Algeria: From One Revolution to the Other? The Metamorphosis of the State-Regime Complex. Sociétés Politiques Comparées, 51, mai/août 2020.
  2. Mann, M. (1984). The Autonomous Power of the State: Its Origins, Mechanisms, and Results. European Journal of Sociology, 25(2), 185-213.
  3. Gramsci, A. (1971). Selections from the Prison Notebooks. International Publishers.
  4. Finer, S. E. (1962). The Man on Horseback: The Role of the Military in Politics. Pall Mall Press.
  5. Harbi, M. (1980). Le FLN, mirage et réalité. Editions Jeune Afrique.
  6. Bourdieu, P. (2003). Esquisse pour une auto-analyse. Raisons d’agir.
  7. Benjamin, W. (2013). On the Concept of History. CreateSpace Independent Publishing Platform.